28 décembre 2011

Une seconde après Minuit


Incandescences


Photo réalisée le 4 novembre 2010



Une photo, c'est un instant volé à l'éternité, c'est un paysage capturé, un sourire immortalisé... Car tout change, le temps ne s'arrête jamais, et c'est le temps qui transforme nos paysages, notre quotidien, qui fait passer un enfant du sourire aux larmes. Le temps. Cette notion que seul l'Homme a réussi à quantifier, en se basant sur des observations de notre planète; un tour sur nous-mêmes, voici un jour qui vient de passer. Un tour autour du soleil, et nous passons les quatre saisons en revue. Et puis, nous avons réussi à subdiviser ces unités de temps, en 24 heures, 1'440 minutes, 86'400 secondes, et comme si ça ne suffisait pas encore, on en a fait des dixièmes, des centièmes, des millièmes de secondes! Imaginez la démesure: essayez donc de compter jusqu'à 86'400'000 en une journée! Vous auriez déjà perdu le pari rien qu'en reprenant une bouffée d'oxygène. Et pourtant, il suffit de quelques-uns de ces millièmes de seconde pour transformer une infime particule d'eau en un joli cristal figé par le froid, et de cet infiniment petit naîtra un manteau d'ouate uniformémant réparti sur toute la plaine, arrondissant tous les angles, feutrant les cris des enfants jouant au loin, crissant sous nos pas.

En une seconde, c'est une goutte d'eau toute entière qui se figera sous l'effet du froid. Les flocons ainsi formés tomberont par milliers, toucheront le sol, les toits, le bonnet du petit garçon qui joue là-bas, avec une douceur infinie. En une seconde, c'est peut-être 100, 200 flocons qui toucheront la Terre en une multitude d'endroits différents, illuminant le regard de 10 ou 20 personnes, le temps d'une ou deux secondes.

Si une photo a la capacité de capturer cette seconde-là, de mémoriser ce sourire furtif chez l'une de ces personnes, c'est que le nom d'instantané lui correspond à merveille. Une photo peut figer une gouttelette de notre vie, mais il est une seconde qui ne se glacera jamais, c'est la seconde que l'on ressent dans le coeur, celle qui suit la première sonnerie du coup de téléphone que l'on attendait toute la journée, c'est la seconde qui suit le premier cri d'un nouveau-né, c'est la seconde qui précède les douze coups de Minuit, le soir de Noël, juste avant d'entrer dans l'église et de partager un vrai moment de bonheur avec 10, 20, 100 ou 200 personnes venues suivre la messe. Et à ce moment, on peut se poser la question "à qui appartient cette seconde-là? Est-ce que nous sommes encore le 24 à minuit, a-t-on déjà commencé le nouveau jour?" Cette seconde en suspension dans l'air du temps, qui n'appartient à personne, mais qui fait le point de pivot de toute une tradition ancestrale, cette seconde-là n'est à personne mais concerne tant de personnes...

Suspendre le temps, pour pouvoir profiter d'un instant que l'on sait de courte durée, ou pour prolonger un instant de bonheur partagé grâce à la musique, qui n'en a jamais rêvé? Un appareil photo de très bonne qualité n'en est peut-être pas la clef, peut-être s'agit-il simplement d'ouvrir son coeur et d'apprendre à accueillir dans notre mémoire émotionnelle ces secondes de magie. Car si la photo nous rappelle immanquablement un instant important pour nous, aussi infiniment petit soit-il, c'est dans notre coeur que le souvenir s'est accroché.

30 novembre 2011

Funambule


En équilibre

Photo réalisée le 30 novembre 2011



Sur le fil, tu joues, tu cours.
Sur le fil, tu chantes, tu caracoles.
Sur le fil, ton imagination te laisse libre court.
Sur le fil, tu t'envoles.


Légère comme une plume,
Ta vie lumineuse
Guide aujourd'hui ma plume
La plus heureuse.


Léger comme l'air,
Presque sans jamais toucher terre,
Personne ne t'en veux, tu sais les faire taire;
Aujourd'hui plus que jamais ton âme se libère.


Insouciant aujourd'hui, prends garde à toi,
Car un jour en équilibre,
Le lendemain un faux pas,
Et tu vivras la chute libre.


Mais même si la hauteur est vertigineuse,
Cela ne t'effraie pas, au contraire,
Ta démarche est confiante et consciencieuse,
Sur un chemin qui te laissera libre comme l'air.

30 octobre 2011

Y



NO COMMENT


Photo réalisée le 30 octobre 2011



-Pourquoi le soleil est-il rouge le soir, papa? demanda un jour le jeune garçon à son père.

-Pour la même raison que la lune est parfois énorme! C'est le cadeau que fait un garçon comme toi à son amoureuse: quand il l'aime comme un fou, il est capable de rapprocher la lune pour que leur dîner romantique soit encore plus magnifique. Et parfois, le garçon préfère offrir le plus beau coucher de soleil à sa bien-aimée, parce qu'elle vaut tout à ses yeux, et qu'il ne reculerait devant rien pour que la soirée qu'il passe avec elle soit réussie. Ainsi, avec une lune très grande, ou un soleil rougeoyant, qui les caresse avec une infinie douceur, les deux amoureux peuvent laisser aller leur imagination, et parler de leur avenir, et peut-être que le garçon la demandera alors en mariage...


Les deux complices continuèrent ainsi à discuter des choses des grands pendant un certain temps, assis sur ce banc, sur lequel ils aimaient s'arrêter lors de leurs promenades, le soir, quand il rentrait du travail, pour admirer la beauté du lac. Voilà maintenant 8 ans que le petit était arrivé dans la vie des deux parents. Tant de joies mais aussi d'inquiétudes, ce petit bout de chou leur avait apporté un souffle nouveau. Et aujourd'hui, il se mettait à philosopher avec ses "pourquoi"... C'est drôle, un mot aussi simple, d'une construction étymologique très terre à terre, "pour quoi fait-on cela, pour quel motif, quelle raison?" Un mot si pur qu'il se résume en anglais à une seule lettre, l'avant-dernière de l'alphabet, comme si le dernier mot était resté en suspens, caché dans une réponse qui ne viendra peut-être jamais... Un mot pur, utilisé par les enfants avides de vérité, d'authenticité.


Puis un jour on devient un grand, on nous a répété sans cesse de ne pas trop se poser de questions, et les "pourquoi" deviennent soudain des "parce que", des "c'est ainsi, inutile de réfléchir plus loin". On se croit mûrs, on pense tout connaître et c'est là que nous commençons à perdre l'innocence du "pourquoi", sûrs de nous, et nous commettons les premières erreurs, celles qui comptent vraiment.


-Qu'est-ce que tu lui as offert, toi, à maman?


Sorti brusquement de ses pensées, le père répondit:


-Je lui avais fait une promesse, une promesse très importante. C'était quelque chose qu'elle attendait depuis très longtemps.

-Elle a dû être contente, alors! Et tu as tenu cette promesse?


C'était peut-être la promesse à laquelle il avait attaché le plus d'importance de toute sa vie. Il n'avait peut-être pas toujours été à la hauteur, peut-être l'avait-il parfois déçue, ou blessée. Mais pour ce cadeau-là, il était prêt, il ne voulait pas en rater le moindre détail; il savait que ce serait la réussite de leur vie à tous les deux. Tout le reste n'avait aucune importance à ses yeux et ses oreilles qu'il bouchait, il ne voulait pas risquer la moindre parole qui pût compromettre leur rêve.


Aujourd'hui, le jeune garçon avait grandi, c'est du haut de ses 24 ans qu'il demande à son père, assis à côté de lui sur le banc de son enfance:


-Pourquoi tu ne m'as jamais répondu ce jour-là?
-Ta mère voulait absolument un garçon en jeans bleu et baskets blanches pour partir à l'école.

-Je suis passé par cette étape-là, je me rappelle des photos! Tu as donc bien tenu ta promesse, non?! Pourquoi est-ce que tu hésitais?

-Je crois que ta mère voulait une famille...

30 septembre 2011

En parallèle


Un train sur la route


Photo réalisée le 9 avril 2008



Ah, le mois d'avril... Le printemps est la saison de la renaissance, le réveil après l'hiver, parfois presque une résurrection. Les oiseaux se remettent à chanter, l'on sent les odeurs des pollens en pleine activité de reproduction, l'on entend à nouveau les cris des enfants qui jouent dans l'herbe toute fraîche en train de reprendre des forces, après quelques longs mois de sommeil. Les couleurs du printemps sont presque aussi belles que celles de l'automne, les feuilles d'un vert pétant donnent envie au promeneur d'aller s'engouffrer au plus profond de nos belles forêts. Les fleurs des champs, et celles des jardins, bien qu'elles soient plus académiques, rivalisent de beauté pour tenter de se faire polliniser avant leur voisine. Le mois d'avril est aussi bien connu pour son premier jour, ils sont trois, en Suisse, à se partager cet honneur, entre avril, janvier et bien sûr août. Mais le premier avril, lui, reste tout de même hors des sentiers battus, il est aussi farceur que les fleurs des champs, à surgir là où on l'attend le moins; il n'en a que faire des conformités officielles de janvier et août.


Pendant que tout ce petit monde se réactivait, au moment où j'ai pris cette photo, j'étais bien loin des pensées que je viens de décrire. Ce jour-là n'avait rien de l'image douce et gaie que le printemps peut symboliser. C'était un jour sombre, il pleuvait, les passants avaient le pied lourd, les paroles étaient rares. J'étais dans une sorte de léthargie latente, comme si l'hiver n'avait pas encore retiré tous ses tentacules de mon esprit. Je ressentais comme un poids au fond de la cage thoracique, quelque chose m'écrasait le coeur et m'empêchait de voir la vie autrement qu'en noir et blanc. C'était un jour qui n'avait plus aucun sens, plus aucune raison d'être, parce que c'était la période pendant laquelle mon premier véritable amour était en train de s'éteindre. Alors que tout autour de moi débordait de vie, je ne voyais qu'une montagne de désespoir et de désillusions en face de moi, comme un rempart infranchissable. Ce wagon d'un poids énorme, écrasant, ne m'avait pas tellement surpris parce qu'il était sur la route; ce sont ces roues qui m'avaient impressionné. Comment était-ce possible? Un poids aussi démesuré, posé sur les quelques centimètres carrés que représentent les surfaces de contact entre les disques métalliques et les rails devrait normalement déformer, écraser ou du moins fendre n'importe quelle matière. J'admirais la force avec laquelle ces roues défiaient la loi de la pesanteur, j'aurais aimé être ce convoi dont les épaules pesaient lourd, mais qui avançait avec tant de légèreté, presque en lévitation sur les rails lisses.


Aujourd'hui, j'ai passé en revue quelques-unes de mes photos, que j'avais faites il y a déjà si longtemps, j'ai l'impression. Certaines sont passées quasiment inaperçues, d'autres en revanche sont restées très marquées et marquantes dans ma mémoire. Celle-ci m'a rappelé pas mal de souvenirs. Et aujourd'hui je me rends compte que la vie a bien changé, les douleurs qui me tiraillaient à l'époque sont enfouies. Tout compte fait, peut-être sommes-nous du même métal que celui qui compose les roues de ce train? A nous alors de chercher cette force interne que nous croisons si souvent sans même vraiment l'observer et la comprendre. Avez-vous déjà songé aux tonnes que peut soulever une grue, qui pourtant est en équilibre plus que précaire? Ou à la résistance du verre d'une ampoule, qu'il suffit toutefois de tapoter sur une table pour la briser?


Il y a des instants qui apparaissent généralement au printemps ou à l'automne d'une vie, d'une période de vie, et qui sont les plus décisifs. Ils surgissent plus rarement en plein milieu, en été, et encore moins en hiver... Aujourd'hui je sais que l'Amour existe. Il arrive lui aussi au moment où on l'attend le moins, mais généralement c'est au mois d'avril. Il nous mène loin des sentiers battus, il est anti-conformiste, il n'en a que faire de la bienséance et toutes ces manières officielles. Il nous donne la force d'avancer en quasi-lévitation malgré tout le poids qui pèse sur notre dos certains jours d'automne. Comme la roue en acier trempé, on se sent capable de franchir n'importe quel obstacle, lancé à toute vitesse, rien ne peut nous ébranler.


Seulement parfois, comme un cheveu sur la soupe, il piétine aussi des amitiés. Il s'impose, s'incruste dans un équilibre précaire, que l'on croyait à toute épreuve, comme le verre de l'ampoule qui résiste à des chaleurs invraisemblables. Parfois trop présent, cet amour rompt l'équilibre. Mais je crois que le mot "amour" et "amitié" ont une même racine, un même sentiment originel. C'est pourquoi ils ne sont pas si incompatibles que ça... Je connais un chanteur qui disait qu'en prenant le train de l'amour, on prend aussi le risque de laisser ses potes en arrière, et peut-être de ne pas descendre à la même gare qu'eux. J'aimerais répondre qu'il suffit de les attendre quelques instants, ils vont bien finir par nous rattraper, et ils auront peut-être vu les mêmes paysages que nous, ils auront peut-être pris le même train...

29 août 2011

Nox


Silenzio


Photo réalisée le 28 novembre 2010



Ce soir, j'avais rendez-vous pour boucler des affaires très sérieuses en compagnie de personnes un peu moins sérieuses... Tout commença il y a 5 ans je crois, mais je vais vous passer ces détails, si vous me le permettez. Donc tout continua il y a quelques heures à peine, je devais me rendre au collège qui m'avait accueilli il y a déjà si longtemps, j'ai l'impression. C'était au sein de ce collège, de son choeur, que j'avais commencé à vraiment m'intéresser au chant choral. Et puis, très rapidement, je me suis engagé de plus en plus profondément dans une fonction qui aujourd'hui me tient encore à coeur: j'ai pris en charge la caisse de ce choeur. Et ce soir était un grand soir, puisque c'est à partir de ce soir qu'officiellement je peux remettre cette tâche à une personne que j'estime beaucoup, et qui, j'en suis sûr, s'en occupera merveilleusement bien.



Evidemment, on ne pouvait en rester là, une petite signature, au revoir merci, ah non! Rendez-vous au pub en vieille ville, on retrouve une petite équipe, et c'est parti! Une petite bière, des discussions très philosophiques et d'autres moins, on décide d'aller s'offrir une petite pizza... J'ai passé le meilleur moment de la journée à attendre cette pizza sur un rebord de vitrine en compagnie d'amies que je n'ai plus revues depuis juin. Et puis, il a bien fallu se séparer, elles descendaient alors que je montais. Alors le silence relatif de la nuit s'est abattu tout à coup sur la rue. Relatif, oui, car on le sent, on le devine plus qu'on ne l'entend réellement, ce silence. D'ailleurs, peut-on "entendre" le silence? Toujours est-il que la nuit nous impose sa sérennité infinie.



Qu'est-ce que la nuit pour vous? Simplement l'absence de soleil, ou plutôt la présence des étoiles, de la lune? Notre vie est pour la plupart rythmée par cet astre qui nous illumine toute la journée, qui a la puissance de milliards de nos lampadaires. Et quand il s'en va, c'est la fin du travail, c'est les soirées au pub, c'est le moment de la sortie entre amis, ou juste l'instant de repos bien mérité. Le moment de relâchement une fois le soleil caché derrière l'horizon reste pour moi le plus beau moment de la journée. J'ai l'impression que la nuit arrive, et non que le jour s'en va. Il y en a pour qui c'est le début de leur travail, il y en a pour qui c'est plutôt l'annonce d'un moment de folie. Lorsque les étoiles apparaissent, qu'elles se détachent toujours plus sur le fond noir intense de la toile tendue au-dessus de notre tête, j'ai parfois le sentiment d'être happé par ce vide d'une profondeur infinie, et dont on ne saura peut-être jamais la nature ni la forme exactes.



La nuit représente aussi pour certains le danger. C'est la nuit que les prédateurs sortent chasser, et que les criminels sortent faire quelques victimes eux aussi. Imaginaires ou non, dans une forêt ou dans la rue, l'on se sent suivi, épié... Paranoïa? Manque de confiance en soi? Nous n'allons pas en faire une psychanalyse en ce moment, mais ce que j'aime c'est cette différence de ressenti que nous pouvons avoir à l'égard de la nuit. Nous la méprisons, nous voulons à tout prix la combattre, incapables que nous sommes de développer ne serait-ce qu'un tout petit peu notre rétine. L'Homme s'est adapté à la nature pendant des milliers d'années pour en arriver à cette forme plus ou moins aboutie que nous connaissons aujourd'hui, et il a fallu à peine quelques centaines d'années pour que nos villes deviennent de nouveaux repères visuels pour nos oiseaux migrateurs nocturnes. Et malgré tout, elle garde son calme, qu'elle nous transmet à travers nos paupières closes, jusque dans les rêves les plus doux.



La nuit est inspiration pour le poète, ou le compositeur. Finalement, cet instant que l'on pourrait croire mort ou terrifiant, est rempli d'une magie profonde, celle qui fait partir notre imagination... La nuit fait partie intégrante d'une journée, et lorsque le jour fait place à la nuit, ce n'est pas la vie qui s'en va, mais la curiosité et l'inspiration qui viennent. Les souvenirs y ont leur place, l'esprit se repose afin de contempler ce qui a été vécu tout au long de la journée, et rien que le fait de savourer cet instant de liberté de conscience redonne sa valeur à tout ce qui s'est passé durant les quelques instants qui précédaient ce moment magique. Nous aimons tous voir un coucher de soleil, parce que c'est de toute beauté: c'est l'instant exact où la vie est en fagile équilibre entre le jour et la nuit. Par expérience, nous sommes totalement conscients que la nuit enchaînera toujours le pas au jour, et que le lendemain l'inverse se produira inévitablement. C'est une valeur aussi exacte que la certitude de la mort. Seulement, la mort nous fait peur, nous essayons de repousser au maximum cette échéance que nous considérons comme définitive, nous jalonnons ces derniers instants de candélabres les plus lumineux possibles... Et si demain un autre jour commençait?

30 juillet 2011

Insaisissables



Joyeux et furtifs...


Photo réalisée le 25 juillet 2011



Il y a peu de temps, j'ai eu une discussion avec une amie à propos de la photo du mois. Entre autres, nous sommes tombés d'accord sur le fait que le site a besoin d'un petit coup de frais, histoire de changer un peu de sujet pour mes textes... Alors ce mois-ci, j'ai eu envie de simplement vous partager une expérience que j'ai vécue voici deux semaines.




Un ami fêtait ses 90 ans dans la cour du château de Payerne, un magnifique endroit, par ailleurs. Un somptueux buffet était servi, des dizaines de personnes encadraient mon ami. Grand mélomane, il avait invité une fanfare et le choeur au sein duquel il eut tant chanté, et tant aimé y chanter. Vous imaginez donc le ramdam que tout ce petit rassemblement pouvait créer, entouré des grandes enceintes de la cour. Eh bien, figurez-vous que ce château est connu pour abriter tout une famille de martinets, et que ce jour-là ils s'en sont donnés à coeur joie pour nous accompagner avec leurs cris et leur voltige majestueuse, un véritable spectacle de danse artistique. Lancés à près de 140 km/h, ils ne ralentissaient jamais! D'une précision folle, ils regagnaient leur nid perché sous les toits sans la moindre hésitation, et sans vraiment modifier leur allure. Ces spécialistes de la voltige nous ont tous impressionnés. Nullement dérangés par nos musiques et nos rires, ils ont au contraire pleinement participé à la fête, c'était merveilleux.




Et puis, intrigué, je me suis rendu à nouveau dans cette fameuse cour, un soir découvert, mais cette fois seul. Un peu déçu, j'ai cru qu'ils n'étaient plus là. J'avais pris mon appareil photo dans l'espoir d'en capturer peut-être un ou deux. J'allais remballer mon matériel quand quelqu'un passa dans la rue en sifflant. Et là, quelques petits piaillements se sont réveillés, timides mais réels malgré tout! J'ai immédiatement enchaîné le pas au siffleur, reprenant de plus belle la mélodie de L'hymne à l'amour de Piaf. Ce fut l'élément déclencheur: un puis deux, puis dix martinets se sont retrouvés dans les airs, ce fut bientôt tout le groupe qui était sorti, tous chantaient, sifflaient, s'élançaient du toit en prenant une vitesse incroyable en quelques secondes. Un ballet aérien se déroulait tout autour de moi, je n'avais qu'à siffler de temps à autre pour piquer leur curiosité, ils venaient tous à tour de rôle nous frôler, moi et mon appareil. A environ 140 km/h, les corps taillés pour la vitesse fusaient de toutes parts, dans un bruit de flèche que l'on tire d'un arc très puissant.




Ces oiseaux timides et silencieux mais totalement extravertis dès que la musique se fait entendre, furtifs de par leur vitesse époustouflante, élancés mais très puissants, m'ont paru assez propices à une comparaison que nous pouvons tous faire entre eux et notre personnalité. En effet, combien de fois sommes-nous contradictoires dans nos humeurs, nos caractères? Je me suis un peu mieux renseigné sur ces oiseaux dont la parure, sobre mais élégante, m'en ont mis plein la vue et l'esprit. Il paraît que ce sont des oiseaux qui ne s'arrêtent pour ainsi dire jamais: le temps total de leur vol est de 4 mois entiers par année. Ils peuvent même dormir en volant! Leur migration annuelle peut atteindre 12'000 km, qu'ils franchissent en un temps record. C'est un oiseau fait pour voyager en continu: dès sa naissance, les parents du jeune ne prennent pas le temps de lui apprendre à voler, il arrive même qu'ils partent pour la grande migration sans leur progéniture. Les petits apprennent donc seuls au bord du nid en faisant de petits mouvements rapides des ailes, jusqu'au jour où ils se sentent près eux aussi à s'élancer. Et ils commencent directement par les 12'000 km de migration comme premier envol! Et malheureusement, ces fous volants aux capacités si impressionnantes sont eux aussi menacés, leur habitat naturel étant en train de disparaître.




Cet oiseau a forcé mon admiration ce jour de fête, l'a renforcée le jour du ballet aérien, et il me démontre aujourd'hui que même avec ses prouesses d'agilité, de rapidité, de précision et d'adaptation, il connaît ses limites, et avant de s'élancer il garde toujours à l'esprit que s'il atterrit au sol, il est quasiment condamné: la longueur de ses ailes ne lui permettant pas de redécoller d'un terrain plat. Mais personne n'a dû lui dire de ne pas faire la bêtise, il le sait, et il ne le fait pas, parce que c'est une question de vie ou de mort, et qu'il en est parfaitement conscient. Je me dis que parfois, on pourrait avoir pas mal de choses à apprendre des martinets, nous qui nous développons à toute vitesse, mais sans trop nous soucier de notre environnement... Aujourd'hui, nous avons même la chance d'avoir quelques personnes qui prennent conscience du fait que nous nous rapprochons dangereusement du point où nous ne pourrons plus redécoller, écoutons-les. On entend parfois: "L'Humanité est ainsi: une fois qu'elle se sera pris le mur, elle réagira." J'espère seulement qu'il ne sera pas trop tard...

26 juin 2011

(R)évasion


Liberté


Photo réalisée le 12 juin 2011



Construire son bateau, vivre dans un bus VW avec le minimum vital, faire le tour de la Terre, la tête dans les étoiles et les yeux au fond du coeur des personnes que l'on croise... On en a tous rêvé un jour ou l'autre, une mauvaise période de notre vie que l'on aimerait oublier, un moment où l'on se sent enfermé dans nos habitudes ou alors, comme seul petit moteur de l'esprit, cette démangeaison au niveau des jambes, qui nous demande de partir, d'aller voir comment ça se passe ailleurs. Alors on sort le Petit Routard, on se dit qu'un jour on lui ressemblera, avec son grand sac à dos plein de curiosité et de souvenirs. On s'allonge sur le lit, la fenêtre grande ouverte, comme pour mieux se libérer l'esprit.


Les oiseaux chantent, dehors, ils sont libres. Les idées elles aussi se mettent à chanter, elles vagabondent, de plus en plus loin, cela fait maintenant bien longtemps que notre esprit a dépassé les frontières de la fenêtre, la maison elle-même paraît toute petite, lorsque l'on tourne rapidement la tête pour regarder derrière soi. On n'a d'ailleurs pas envie de regarder trop longtemps en arrière, trop pressé de tout quitter, de s'envoler au loin, sans se soucier de quoi que ce soit; pour une fois que l'on part sans se retourner, c'en est presque jubilatoire, l'euphorie nous enveloppe, on se sent porté sans aucune difficulté vers un monde nouveau, de nouveaux visages, des sourires accueillants. Ces sourires ne sont pas comme ceux d'il y a quelques minutes, ils ne ressemblent à aucun sourire qu'on n'ait encore rencontré. Ceux-ci donnent envie d'y répondre, rien ne semble surfait, la générosité avec laquelle on est accueilli ne peut venir d'ailleurs que du fond du coeur de ces personnes. Les dents leur manquent, les visages sont très marqués par la rudesse de leur vie, on ressemble à un bébé à côté de ces personnages. Puis celui qui pourrait bien être le chef du village s'avance, à l'aide de sa canne taillée dans un bois magnifique, très sobrement décorée. Il ne dit rien, mais son regard parle le langage des Hommes, c'est un langage universel. On se sent immédiatement mis à nu par ce regard perçant, on a l'impression que le vieil homme nous a compris dans toute notre complexité en une fraction de seconde, puis il s'avance encore et dit: "je t'attendais". Toute la forêt alentour semble tout à coup démêlée, cette forêt que l'on croyait vierge, avec tous les dangers qu'elle abrite, nous semble tout à coup grande ouverte, comme les portes d'une immense cathédrale qui s'ouvriraient et qui nous laissent entrevoir les rayons d'un soleil d'été qui passe à travers le vitrail des frondaisons. La fraîcheur de cet endroit merveilleux se sent déjà d'ici, et on se dit qu'il n'est pas possible qu'un tel endroit ne soit pas habité. La cathédrale ne nous apparaît plus du tout vierge ni stérile, mais regorge de vie, et on a l'impression de n'être plus qu'un minuscule puceron qui se balade sur un immense rosier, dont les ramifications s'étendent à l'infini.


Et on rencontre encore des centaines d'autres pucerons, qui tous poursuivent un rêve, eux aussi. Mais eux ne vont pas forcément de le même sens que nous: ils suivent leur propre guide interne, ils écoutent leur propre petite voix intérieure, qui les mènera jusqu'au bout de leur monde à eux. Si cela se trouve, le but ultime de notre quête sera leur point de départ, qui le saurait? Libérés de toute futilité, nous ne transportons plus de sac à dos, nous sommes désormais libres de remplir notre esprit, de photographier les magnifiques paysages avec notre coeur, nous pouvons vivre, pleinement. Il ne nous reste plus qu'une chose à faire: observer, apprendre, et ne jamais perdre de vue notre objectif. De temps en temps, on ressent la présence du vieil homme qui nous guide, qui nous parle tout bas, et qui nous dit quelle direction emprunter.


Le décor change encore: à force de méandres, de monts et de vaux, nous empruntons tout à coup un chemin plus noueux, l'avance est moins facile, on roule sous d'immenses boules que l'on peine à contourner. A peine a-t-on réussi à en gravir une, qu'une multitude d'autres se présentent à nous, comme tant d'obstacles insurmontables qui semblent vouloir nous empêcher de poursuivre notre rêve. Malgré tout, leur odeur enivrante nous donne envie de goûter à ces fruits que nous reconnaissons maintenant, car nous avons réussi à prendre un peu de recul grâce aux ailes que nous avons dénichées au détour d'une grappe. Transformés en coccinelle, nous parcourons maintenant à nouveau allègrement cette nouvelle plante, que nous considérions comme une barrière infranchissable il y a encore quelques minutes. Et puis, on prend encore un peu de recul, et l'on reconnaît la vigne vierge qui pousse sous la fenêtre.


O
n ouvre les yeux, on regarde autour de soi, les ailes ont disparu, les centaines de chemins entremêlés ne sont plus qu'un vague souvenir, mais on se sent différent. En se réveillant de cette petite évasion, on s'aperçoit que le sac à dos est resté bien loin en arrière, chargé de tous ces souvenirs que l'on tranportait avec peine, en croyant que ce sont eux qui nous permettraient de survivre dans un milieu que l'on croyait si hostile. En fin de compte, l'esprit s'est libéré de toutes ses charges l'espace d'un instant, on a coupé le téléphone, rompu toutes les amarres et largué tous les lests qu'on avait sur les épaules et qui nous masquaient les souvenirs ancrés dans notre coeur, ceux qui nous ont permis de rencontrer le vieillard de notre conscience, souvenirs qui sont, au final, aussi purs que la vigne qui pousse à un mètre de nous est vierge. Et, en écoutant bien, en mettant l'oreille tout près d'une coccinelle, on a parfois l'impression d'entendre une toute petite voix qui nous dit: "je t'attendais, continue ton chemin, je te guiderai". Essayons de ne pas la perdre trop souvent!

22 mai 2011

Une richesse insoupçonnée

Hors du temps

Photo réalisée le 11 avril 2009 à Chemin


Aujourd'hui, un jeune homme a aidé son père à remettre le mât de leur bateau. En effet, vous savez peut-être qu'un bateau devrait sortir de l'eau chaque année pendant l'hiver, pour le protéger de la morçure de la glace sur la coque, l'éloigner pendant une période de l'humidité et pour lui redonner un petit coup d'entretien. Pour sortir un voilier de l'eau, il faut donc lui enlever le mât, à moins que vous ne vouliez qu'on se souvienne de vous longtemps en apposant votre marque sur le premier pont que vous rencontrerez! L'hiver est passé, le printemps est arrivé, ils ont fait ce qu'il fallait d'entretien au voilier, puis l'ont remis à l'eau. Et aujourd'hui, un jeune homme a réinstallé le mât de son bateau avec son père. Son père lui a raconté toutes les mésaventures qu'il a eues avec le moteur, qui n'est plus si jeune, la bâche qui a lâché, le siège conducteur qui s'est délogé... Bref, il y a eu cette année plusieurs incidents qui l'ont peu à peu incité à vendre son bateau, devenu un poids toujours plus important... Là commence la véritable histoire.

En rentrant chez lui, le jeune homme était un peu triste de cette nouvelle, mais en même temps plein d'enthousiasme à l'idée de passer le permis de voile pour peut-être reprendre le bien de son père, dont ils ont tant profité il y a quelques années de cela, maintenant. Et puis, il a repensé à une discussion qu'il avait eue avec son père il y a quelque temps. Son père lui avait demandé: "si on te donnait chaque jour exactement 1440.- francs, rien de plus, rien de moins, et que cela recommençait tous les jours, mais que tu ne peux accumuler le moindre centime d'un jour à l'autre, que ferais-tu?" Le jeune homme répondit aussitôt qu'il arrêterait de travailler, qu'il en profiterait pour se consacrer entièrement à ces loisirs, qu'il verrait plus souvent ses amis, qu'il partirait peut-être en voyage. Alors, son père lui annonça que cela faisait depuis que son fils était né qu'il possédait cette richesse, jour après jour. Le jeune homme n'en croyait pas ses oreilles, comment se faisait-il qu'il n'eût pas été au courant d'une telle annonce? Son père lui expliqua que même le patron de son entreprise possédait cette fortune, de même que la personne qui était en train de nettoyer les toilettes, là-bas au fond du couloir, mais que tout comme lui, ces personnes n'en avaient certainement pas conscience.

Le jeune homme avait quitté cette discussion tout bouleversé, il ne comprenait pas ce que voulait dire son père. Comment était-ce possible que tout le monde soit en possession d'une telle somme d'argent, jour après jour, mais qu'ils n'en profitent pas plus? Et surtout, était-ce vraiment possible que toutes ces personnes ne s'en rendent pas compte?

Le soir venu, le jeune homme rencontra ses amis chanteurs, qui étaient presque tous retraités. Il aimait bien leur compagnie, ils partageaient toujours de très beaux moments ensemble, et leur compagnie était agréable, ils lui racontaient toujours des histoires qu'ils avaient vécues pendant leur scolarité, leur armée, tout au long de leur vie. Puis, le jeune homme raconta à l'ancien qui était près de lui ce que son père lui avait dit plus tôt dans la journée. L'ancien lui répondit qu'il devait y réfléchir par lui-même, car les enseignements d'un père sont sacrés, il n'avait pas le droit moral de lui expliquer la signification de cette nouvelle. Mais il lui donna en cadeau une très belle montre à gousset qu'il gardait toujours dans sa poche. En la lui tendant, il lui dit: "prends ceci, je te l'offre, parce que de nos jours, on a parfois tendance à oublier la vraie valeur du temps qui passe. Cette montre n'a jamais fonctionné, mais je l'ai toujours gardée avec moi. A chaque fois que j'en avais l'occasion, j'accordais ma montre à l'horloge publique. Ainsi, quand je passais un moment agréable en présence d'un ami, je profitais de ce moment en suspendant le temps, et lorsque cet instant de partage touchait à sa fin, je réaccordais à nouveau ma montre en attendant le prochain événement. Parfois, il arrivait que je doive faire plusieurs fois le tour du cadran, parce qu'un bon moment s'était prolongé longtemps, ou parce qu'il avait fallu longtemps avant de pouvoir remonter ma montre, car aucun moment agréable n'était venu ponctuer ma vie."

Le jeune homme apprécia beaucoup le cadeau que lui avait fait l'ancien, et le remercia de bon coeur. Il décida de continuer à utiliser la montre de la même manière que son ancien propriétaire, par respect pour lui. Et puis, son histoire lui avait parlé, l'idée lui paraissait très sympathique. Il décida de passer aussi plus de temps avec son père, à l'aider quand il en aurait besoin, parce qu'il lui apprendrait encore certainement d'autres choses, et simplement parce que ce temps partagé était précieux.

Juste avant de quitter le vieillard, celui-ci lança encore une dernière question au jeune homme: "d'après toi, combien y a-t-il de minutes dans une journée?"

31 mars 2011

Once upon a time

Vie à l'état pur

Photo réalisée le 21 septembre 2009


A 15 heures 33 exactement. Je venais de m'offrir un nouvel objectif à grand zoom, ce qui me permit d'effectuer mes premiers essais lors d'une petite balade dans la région de Grolley. Une rencontre inopinée, ces deux superbes chevaux, je dois m'arrêter. Je dégaine l'appareil, un peu maladroit avec cet énorme objectif que je maîtrise encore comme un débutant. Quelques essais infructueux, la luminosité n'est pas bonne, il faut vite modifier un peu l'ouverture du diaphragme. Heureusement, le matériel me permet une grande souplesse d'adaptation à ce genre de situations, un fait que je vais découvrir encore plus profondément par la suite. Pour le moment, il s'agit d'essayer de capter d'éventuelles expressions, une ambiance, le truc qui fait que... Je me mets à songer...

Une image réussie est en fait assez semblable à un chant réussi, ou en tout cas, les deux dépendent de critères similaires. La qualité technique doit être irréprochable, ou en tout cas s'approcher au plus près possible de la perfection. Mais la plus grande partie de la réussite ne tient pas uniquement en un objectif ultra performant, ni en une voix de professionnel acharné. La clef est l'expression. Une photo inexpressive, qu'elle soit d'une netteté absolue, d'un cadrage parfait, d'une exposition idéale, si elle est vide d'émotion, elle restera inexpressive, aussi inexpressive qu'un mur blanc. Un public est conquis lorsque la musique l'emporte, lorsque les gens devinent dans nos yeux les images que l'on se crée en chantant; lorsque ces personnes ressentent et vivent les mêmes émotions que le musicien.

Alors à ce moment-là, on a réussi à relever le défi de transmettre un peu de notre âme à quelqu'un d'autre. Quand on regarde une toile, on voit bien sûr des motifs, puis on reconnaît peut-être quelques éléments, peut-être tous, ou alors il est tacitement permis de s'en inventer certains, à notre goût. Puis, toujours avec un regard assez général, on peut voir les lignes directrices qui ont permis au peintre d'accrocher ses éléments selon une structure plus ou moins définie. Mais très vite, on s'approche, et on peut déceler les coups de pinceau formant cette fleur aux pieds de la jeune fille qui savoure un pique-nique sur une couverture à carreaux bordeaux. On y regarde d'encore plus près, et cette fois on ne reconnaît plus rien, le pied n'est symbolisé plus que par une fine traînée de couleur, de même que les troncs de ces bouleaux qui ne sont plus à présent qu'une succession de coups blancs et noirs, empilés de manière presque anarchique. Ce tableau n'est en fait qu'une succession de coups de pinceau appliqués ici et là, comme un grand puzzle dont l'artisan aurait fait les pièces sur mesure et avec une grande liberté d'improvisation. C'est ce que l'on appelle l'inspiration. Cela me fait penser aussi à la manière dont le monde entier est composé, à partir des mêmes électrons, neutrons et protons, simplement arrangés de manières différentes, et qui donnent la multitude de matières et d'éléments que nous connaissons...

L'artiste qui sort du lot sera celui qui saura arranger tous ces coups de pinceau improvisés de manière à ce que l'ensemble sache inspirer aussi celui qui regardera sa toile. Le meilleur artiste sera celui qui non seulement saura inspirer son spectateur, mais surtout le fera en laissant transparaître son propre état d'esprit dans son oeuvre, de manière à ce que le spectateur puisse entrer dans l'intimité profonde du peintre. Pour cela, il faut bien sûr qu'il soit réceptif à ses propres émotions, qu'il soit d'accord en quelque sorte de se confier à sa toile pour lui donner quelque chose d'expressivement fort. Je me demande bien qui est inspiré par la vision de notre globe, composé de tous ces petits bouts d'atomes, arrangés de manière plus ou moins harmonieuse...

Qu'en est-il du compositeur? Celui qui écrit une partition exerce selon moi le plus beau métier du monde, à savoir celui de créer quelque chose que l'on imagine, que l'on souhaite beau, mais sans rien en connaître au moment même de sa création. On crée en fait le moyen, on donne l'outil nécessaire à l'interprète pour que lui, puisse réaliser ce qu'on avait dans la tête pendant si longtemps. Il y a un côté extrêmement anonyme qui me plaît beaucoup. Il y a bien sûr sa signature sur chaque feuille qu'il fera éditer, mais ce ne sera que rarement lui qui achèvera complètement sa musique, elle devra être soumise à un directeur, puis interprétée en communion entre le directeur et son choeur, son orchestre... Si cet amalgame est bon, le résultat sera celui entendu des nuits durant dans la tête du compositeur. Et alors seulement le public vivra les mêmes émotions que celles qui animaient l'auteur au moment d'écrire sa partition. Le travailleur de l'ombre, celui qui ne se montre presque jamais devant le grand public, celui qui est de la plus grande modestie, joue le rôle le plus important dans cette histoire.

Il est temps d'arrêter de songer, il commence à faire sombre, et je crois avoir réussi à capter quelque chose qui exprime un peu mon état d'esprit ce fameux soir de septembre. Il me reste encore quelques questions à l'esprit. Le truc qui fait que la photo est réussie est-il présent? En fin de compte, cela ne dépend-il pas essentiellement du regard du spectateur? Quelle était l'émotion du compositeur de l'Univers? L'interprète a-t-il fidèlement transmis à nous, spectateurs, l'intention du compositeur? Et si nous étions en même temps interprètes et spectateurs?

28 février 2011

Voyage en terres inconnues...


... Ou en terrain connu?

Photo réalisée le 20 février 2011


J'ai souvent évoqué la complicité réciproque qui existe entre moi, ma manière de vivre et les souvenirs; mon approche du passé, en quelque sorte. D'ailleurs, il subsiste une question à ce sujet qui, selon moi, n'a jamais reçu vraiment de réponse valable: pourquoi nomme-t-on le temps du passé "imparfait"? Serions-nous tellement pris de remords et de regrets que même dans la grammaire officielle se ferait sentir ce sentiment d'imperfection, de moments "ratés"? Je garderai cette question lourde de sens pour une prochaine fois... Oui, car aujourd'hui, ce n'est pas de regrets ni d'imperfection que je veux vous parler, mais de quelque chose d'encore bien plus obscur, mystérieux...

On dit de lui qu'il fait peur, on ne le connaît que très mal, voire pas du tout. Certains tentent de s'en approcher, certains se prétendent même pourvus d'un don très particulier permettant de le faire connaître à ceux qui veulent s'y rendre avant l'heure. C'est peut-être encore une des dernières énigmes que ni la science, ni la religion ne peuvent élucider de manière convaincante: le futur. Ce rivage inconnu de l'Homme cache la question la plus angoissante de toute l'existence: que va-t-il se passer demain? Cette incertitude à laquelle même les plus grands explorateurs étaient confrontés chaque jour n'épargne personne.

Tout cela ferait bien peur à quelqu'un qui voudrait contrôler le moindre élément de sa vie, non? Alors cette personne pourrait se conforter en s'installant dans un rythme de vie bien ordonné, chaque journée étant divisée par des habitudes bien établies, la monotonie serait alors tout à coup le repère rassurant dans cette multitude de situations imprévues. Il s'agit de faire face aux imprévus que la vie nous distille de temps à autre, et y faire face de la manière la plus combattante afin d'éradiquer la moindre tentative d'enlisement avant même son apparition. Surtout, ne pas se laisser surprendre, garder son sang froid et tout faire pour que la vie reprenne son cours normal le plus vite possible, et ne pas quitter des yeux le petit confort dans lequel nous étions avant que tel événement nous arrive et y retourner dès que possible! La voiture tombe en panne, il faut vite téléphoner au garage et demander un véhicule en prêt en attendant; votre copine vous quitte? Empressez-vous d'en trouver une autre, pour ne pas trop souffrir!

N'avez-vous jamais entendu ou même évoqué ce genre de réflexions? Rassurez-vous, vous n'en êtes pas aussi responsables que ça... Nous sommes dans une société qui nous pousse à réfléchir de cette manière, malheureusement. Le temps, c'est de l'argent, dit-on. Alors il ne faut pas en perdre à gérer maladroitement les imprévus... Seulement, voilà: je me demande vraiment si ces valeurs sont saines, si nous ne devrions pas simplement ne rien faire contre ces imprévus, mais plutôt en tirer les bénéfices potentiels qu'ils nous offrent, faire avec. Sans obligatoirement adhérer à des pensées basées sur un destin qui serait écrit et sur lequel nous n'aurions aucune prise, je crois que nous gagnerions tous à profiter des opportunités que nous offre le futur, même s'il ne suit pas toujours la ligne droite que nous avions imaginée hier, il y a un mois, ou quand nous étions enfant. Combien d'entre nous sont devenus pilotes de chasse ou chanteuse célèbre? Le futur que nous imaginons un jour n'est pas le présent que nous vivons le lendemain, c'est une chose que nous acceptons avec assez de facilité, me semble-t-il. Alors, maintenant que nous en prenons conscience, pourquoi vouloir continuer à combattre ces surprises offertes par le temps, pourquoi ne pas accepter les changements qui s'imposent malgré tous nos efforts? Plutôt que de perdre de l'énergie en nous y opposant, ne restons pas passifs à attendre que tout se fasse tout seul, prenons ces changements par la main, laissons-nous nous faire guider par ceux-ci, en nous émerveillant peut-être du positif que cela nous apporte! Car même si quitter la route que nous avions imaginée devant nous n'est pas rassurant, même si cela nous fait peur, peut-être que nous trouverons sur ce nouveau chemin la personne que nous cherchions depuis si longtemps, ou la profession dont nous rêvions secrètement, peut-être découvrirons-nous une nouvelle vie que nous n'avions même pas eu le courage d'imaginer. Et, qui sait, peut-être même aurons-nous l'occasion de réaliser un rêve d'enfant que nous avions oublié?!

Soyons confiants en l'avenir, car même dans le noir aveuglant et angoissant, il y a toujours une main attentionnée pour nous guider vers le bon chemin; la confiance nous aide aussi à lâcher prise sur nos peurs de ne pas avoir pu réaliser tout ce à quoi on renonce peut-être en suivant telle route plutôt qu'une autre... Si le passé est considéré comme imparfait, qu'en est-il du futur, pour vous, maintenant?

30 janvier 2011

Marins d'eau douce


Douce moitié

Photo réalisée le 29 janvier 2011


J'ai choisi pour débuter cette année 2011 cette image un peu intrigante... On ne comprend pas très bien de quoi il s'agit, mais on peut analyser un peu quand même. Tout d'abord, cette ouverture toute arrondie, aux angles très doux voire inconnus, moi ça me fait un peu penser à un hublot d'un bateau, ouverture donnant sur une multitude de paysages, invitation au voyage, à la méditation. Et puis, on reconnaît très vite la forêt en arrière-plan. Tiens, est-ce vraiment un bateau? Comment se fait-il que l'on ait troqué mouettes et embruns contre corneilles et sapins? Eh bien, la réponse se laisse suggérer par le troisième élément de cette image: ce bois, assemblé en forme quelque peu convexe, en tout cas très vieux, nous fait penser aux formes et au charme d'un vieux bateau en bois. Eh oui, nous sommes bien en train d'embarquer sur une bonne vieille coquille de noix...

Laissons-nous porter par le vent, laissons libre cours à nos pensées. Que nous vient-il en premier plan? La première image qui me vient ce 30 janvier 2011 est le souvenir des journées que j'ai passées avec mes parents sur le lac. Plus précisément, je me rappelle d'une "expédition" que j'avais faite avec mon père, je devais avoir 14 ans à l'époque. Il fallait amener le bateau, un modeste voilier de 7.50 mètres, de son port d'attache, Chevroux, à un chantier naval qui se trouvait sur le lac de Morat, à Praz exactement. C'était une période très froide, dans le début de l'hiver. La première partie du voyage qui consistait à traverser à peu près la moitié du lac de Neuchâtel s'est passée sans trop de problèmes, malgré le vent qui soufflait très fort et les vagues qui passaient parfois par-dessus le pont du bateau. Nous nous étions confinés dans la cabine, mon père aux commandes et moi qui luttais contre les éléments qui se déchaînaient sur nous, un peu par défi. Et puis, finalement, nous sommes arrivés à l'entrée du canal de la Broye qui relie les deux lacs. Là, le vent soufflait toujours autant, mais les vagues s'étaient tues, c'était comme un apaisement au milieu des événements déferlants. C'était l'occasion de sortir un bref instant pour resserrer les cordes qui auraient un peu trop subi les assauts du lac. Et puis, petit à petit, le froid se faisait vraiment sentir. Nous avions ouvert le capot du moteur pour que sa chaleur réchauffe un tout petit peu l'atmosphère de la cabine. Le canal de la Broye était désert, tout comme le lac, d'ailleurs. Même les plus vigoureux s'étaient mis à l'abri dans leur nid douillet, en attendant que cela passe. Enfin arrivés au port de Praz, nous étions heureux de descendre du bateau et d'aller boire un bon chocolat chaud que ma maman nous avait préparé. Mais c'est une expérience que ni moi ni mon père n'oublierons, parce que lui et moi nous aimions ce genre de conditions qui nous mettaient à rude épreuve. Nous nous sentions vivants, nous nous sentions en communion totale avec cette nature qui nous transperçait et nous habitait à chaque méandre du canal, au sommet de chaque vague, avant de plonger pour remonter la suivante avec un élan toujours grandissant... Ce jour-là, lui et moi n'avions pas échangé beaucoup de paroles, comme souvent d'ailleurs. Mais ce jour-là j'ai partagé un sentiment avec mon père, beaucoup plus fort que n'importe quelle parole qui se serait envolée dans la tempête. Un regard, un sourire figé par le froid, cela reste gravé à jamais.

Cette expérience, peu de gens doivent être capables de se l'imaginer en profondeur, comme je l'ai vécue. Mais ce que je souhaite à chacun, c'est de trouver sur votre route ces petits clins d'oeil comme ce bateau que j'ai trouvé à l'orée d'une forêt. Un bateau abandonné, dont il manquait une bonne partie de la coque, un bateau pour ainsi dire défiguré par l'absence de sa moitié. Ce bateau, il m'inspire de la mélancolie, on entend encore le son de sa corne de brume pendue à côté du poste de pilotage. On l'imagine, bravant toutes les conditions, avançant fièrement malgré tous les assauts du lac... Et puis, aujourd'hui, son propriétaire l'a certainement laissé là, peut-être par manque de forces de l'entretenir. On l'a parqué, dans un bel endroit, près d'une forêt, comme pour se débarrasser d'un fardeau, devenu trop vieux et trop lourd mais sans avoir trop mauvaise conscience, puisque ce n'est pas le premier qui est laissé ici...

Soyons à l'affût de ce genre "d'aides-mémoires", non pas pour vivre toujours dans les souvenirs, mais pour ne pas oublier ce qui était important à un certain âge. Pour reconnaître ces petites balises qui jalonnent notre chemin, il est nécessaire d'ouvrir son imagination. Car même un bateau abandonné, défiguré, peut nous révéler à nous-mêmes et nous rappeler de si belles images! Je vous souhaite à tous pour cette nouvelle année de trouver vos propres épaves, de reconnaître vos propres balises, qui vous aideront à voir l'avenir avec un oeil un peu plus serein, peut-être...