31 mars 2011

Once upon a time

Vie à l'état pur

Photo réalisée le 21 septembre 2009


A 15 heures 33 exactement. Je venais de m'offrir un nouvel objectif à grand zoom, ce qui me permit d'effectuer mes premiers essais lors d'une petite balade dans la région de Grolley. Une rencontre inopinée, ces deux superbes chevaux, je dois m'arrêter. Je dégaine l'appareil, un peu maladroit avec cet énorme objectif que je maîtrise encore comme un débutant. Quelques essais infructueux, la luminosité n'est pas bonne, il faut vite modifier un peu l'ouverture du diaphragme. Heureusement, le matériel me permet une grande souplesse d'adaptation à ce genre de situations, un fait que je vais découvrir encore plus profondément par la suite. Pour le moment, il s'agit d'essayer de capter d'éventuelles expressions, une ambiance, le truc qui fait que... Je me mets à songer...

Une image réussie est en fait assez semblable à un chant réussi, ou en tout cas, les deux dépendent de critères similaires. La qualité technique doit être irréprochable, ou en tout cas s'approcher au plus près possible de la perfection. Mais la plus grande partie de la réussite ne tient pas uniquement en un objectif ultra performant, ni en une voix de professionnel acharné. La clef est l'expression. Une photo inexpressive, qu'elle soit d'une netteté absolue, d'un cadrage parfait, d'une exposition idéale, si elle est vide d'émotion, elle restera inexpressive, aussi inexpressive qu'un mur blanc. Un public est conquis lorsque la musique l'emporte, lorsque les gens devinent dans nos yeux les images que l'on se crée en chantant; lorsque ces personnes ressentent et vivent les mêmes émotions que le musicien.

Alors à ce moment-là, on a réussi à relever le défi de transmettre un peu de notre âme à quelqu'un d'autre. Quand on regarde une toile, on voit bien sûr des motifs, puis on reconnaît peut-être quelques éléments, peut-être tous, ou alors il est tacitement permis de s'en inventer certains, à notre goût. Puis, toujours avec un regard assez général, on peut voir les lignes directrices qui ont permis au peintre d'accrocher ses éléments selon une structure plus ou moins définie. Mais très vite, on s'approche, et on peut déceler les coups de pinceau formant cette fleur aux pieds de la jeune fille qui savoure un pique-nique sur une couverture à carreaux bordeaux. On y regarde d'encore plus près, et cette fois on ne reconnaît plus rien, le pied n'est symbolisé plus que par une fine traînée de couleur, de même que les troncs de ces bouleaux qui ne sont plus à présent qu'une succession de coups blancs et noirs, empilés de manière presque anarchique. Ce tableau n'est en fait qu'une succession de coups de pinceau appliqués ici et là, comme un grand puzzle dont l'artisan aurait fait les pièces sur mesure et avec une grande liberté d'improvisation. C'est ce que l'on appelle l'inspiration. Cela me fait penser aussi à la manière dont le monde entier est composé, à partir des mêmes électrons, neutrons et protons, simplement arrangés de manières différentes, et qui donnent la multitude de matières et d'éléments que nous connaissons...

L'artiste qui sort du lot sera celui qui saura arranger tous ces coups de pinceau improvisés de manière à ce que l'ensemble sache inspirer aussi celui qui regardera sa toile. Le meilleur artiste sera celui qui non seulement saura inspirer son spectateur, mais surtout le fera en laissant transparaître son propre état d'esprit dans son oeuvre, de manière à ce que le spectateur puisse entrer dans l'intimité profonde du peintre. Pour cela, il faut bien sûr qu'il soit réceptif à ses propres émotions, qu'il soit d'accord en quelque sorte de se confier à sa toile pour lui donner quelque chose d'expressivement fort. Je me demande bien qui est inspiré par la vision de notre globe, composé de tous ces petits bouts d'atomes, arrangés de manière plus ou moins harmonieuse...

Qu'en est-il du compositeur? Celui qui écrit une partition exerce selon moi le plus beau métier du monde, à savoir celui de créer quelque chose que l'on imagine, que l'on souhaite beau, mais sans rien en connaître au moment même de sa création. On crée en fait le moyen, on donne l'outil nécessaire à l'interprète pour que lui, puisse réaliser ce qu'on avait dans la tête pendant si longtemps. Il y a un côté extrêmement anonyme qui me plaît beaucoup. Il y a bien sûr sa signature sur chaque feuille qu'il fera éditer, mais ce ne sera que rarement lui qui achèvera complètement sa musique, elle devra être soumise à un directeur, puis interprétée en communion entre le directeur et son choeur, son orchestre... Si cet amalgame est bon, le résultat sera celui entendu des nuits durant dans la tête du compositeur. Et alors seulement le public vivra les mêmes émotions que celles qui animaient l'auteur au moment d'écrire sa partition. Le travailleur de l'ombre, celui qui ne se montre presque jamais devant le grand public, celui qui est de la plus grande modestie, joue le rôle le plus important dans cette histoire.

Il est temps d'arrêter de songer, il commence à faire sombre, et je crois avoir réussi à capter quelque chose qui exprime un peu mon état d'esprit ce fameux soir de septembre. Il me reste encore quelques questions à l'esprit. Le truc qui fait que la photo est réussie est-il présent? En fin de compte, cela ne dépend-il pas essentiellement du regard du spectateur? Quelle était l'émotion du compositeur de l'Univers? L'interprète a-t-il fidèlement transmis à nous, spectateurs, l'intention du compositeur? Et si nous étions en même temps interprètes et spectateurs?

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