Photo réalisée le 9 avril 2008
Ah, le mois d'avril... Le printemps est la saison de la renaissance, le réveil après l'hiver, parfois presque une résurrection. Les oiseaux se remettent à chanter, l'on sent les odeurs des pollens en pleine activité de reproduction, l'on entend à nouveau les cris des enfants qui jouent dans l'herbe toute fraîche en train de reprendre des forces, après quelques longs mois de sommeil. Les couleurs du printemps sont presque aussi belles que celles de l'automne, les feuilles d'un vert pétant donnent envie au promeneur d'aller s'engouffrer au plus profond de nos belles forêts. Les fleurs des champs, et celles des jardins, bien qu'elles soient plus académiques, rivalisent de beauté pour tenter de se faire polliniser avant leur voisine. Le mois d'avril est aussi bien connu pour son premier jour, ils sont trois, en Suisse, à se partager cet honneur, entre avril, janvier et bien sûr août. Mais le premier avril, lui, reste tout de même hors des sentiers battus, il est aussi farceur que les fleurs des champs, à surgir là où on l'attend le moins; il n'en a que faire des conformités officielles de janvier et août.
Pendant que tout ce petit monde se réactivait, au moment où j'ai pris cette photo, j'étais bien loin des pensées que je viens de décrire. Ce jour-là n'avait rien de l'image douce et gaie que le printemps peut symboliser. C'était un jour sombre, il pleuvait, les passants avaient le pied lourd, les paroles étaient rares. J'étais dans une sorte de léthargie latente, comme si l'hiver n'avait pas encore retiré tous ses tentacules de mon esprit. Je ressentais comme un poids au fond de la cage thoracique, quelque chose m'écrasait le coeur et m'empêchait de voir la vie autrement qu'en noir et blanc. C'était un jour qui n'avait plus aucun sens, plus aucune raison d'être, parce que c'était la période pendant laquelle mon premier véritable amour était en train de s'éteindre. Alors que tout autour de moi débordait de vie, je ne voyais qu'une montagne de désespoir et de désillusions en face de moi, comme un rempart infranchissable. Ce wagon d'un poids énorme, écrasant, ne m'avait pas tellement surpris parce qu'il était sur la route; ce sont ces roues qui m'avaient impressionné. Comment était-ce possible? Un poids aussi démesuré, posé sur les quelques centimètres carrés que représentent les surfaces de contact entre les disques métalliques et les rails devrait normalement déformer, écraser ou du moins fendre n'importe quelle matière. J'admirais la force avec laquelle ces roues défiaient la loi de la pesanteur, j'aurais aimé être ce convoi dont les épaules pesaient lourd, mais qui avançait avec tant de légèreté, presque en lévitation sur les rails lisses.
Aujourd'hui, j'ai passé en revue quelques-unes de mes photos, que j'avais faites il y a déjà si longtemps, j'ai l'impression. Certaines sont passées quasiment inaperçues, d'autres en revanche sont restées très marquées et marquantes dans ma mémoire. Celle-ci m'a rappelé pas mal de souvenirs. Et aujourd'hui je me rends compte que la vie a bien changé, les douleurs qui me tiraillaient à l'époque sont enfouies. Tout compte fait, peut-être sommes-nous du même métal que celui qui compose les roues de ce train? A nous alors de chercher cette force interne que nous croisons si souvent sans même vraiment l'observer et la comprendre. Avez-vous déjà songé aux tonnes que peut soulever une grue, qui pourtant est en équilibre plus que précaire? Ou à la résistance du verre d'une ampoule, qu'il suffit toutefois de tapoter sur une table pour la briser?
Il y a des instants qui apparaissent généralement au printemps ou à l'automne d'une vie, d'une période de vie, et qui sont les plus décisifs. Ils surgissent plus rarement en plein milieu, en été, et encore moins en hiver... Aujourd'hui je sais que l'Amour existe. Il arrive lui aussi au moment où on l'attend le moins, mais généralement c'est au mois d'avril. Il nous mène loin des sentiers battus, il est anti-conformiste, il n'en a que faire de la bienséance et toutes ces manières officielles. Il nous donne la force d'avancer en quasi-lévitation malgré tout le poids qui pèse sur notre dos certains jours d'automne. Comme la roue en acier trempé, on se sent capable de franchir n'importe quel obstacle, lancé à toute vitesse, rien ne peut nous ébranler.
Seulement parfois, comme un cheveu sur la soupe, il piétine aussi des amitiés. Il s'impose, s'incruste dans un équilibre précaire, que l'on croyait à toute épreuve, comme le verre de l'ampoule qui résiste à des chaleurs invraisemblables. Parfois trop présent, cet amour rompt l'équilibre. Mais je crois que le mot "amour" et "amitié" ont une même racine, un même sentiment originel. C'est pourquoi ils ne sont pas si incompatibles que ça... Je connais un chanteur qui disait qu'en prenant le train de l'amour, on prend aussi le risque de laisser ses potes en arrière, et peut-être de ne pas descendre à la même gare qu'eux. J'aimerais répondre qu'il suffit de les attendre quelques instants, ils vont bien finir par nous rattraper, et ils auront peut-être vu les mêmes paysages que nous, ils auront peut-être pris le même train...
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