26 juin 2011

(R)évasion


Liberté


Photo réalisée le 12 juin 2011



Construire son bateau, vivre dans un bus VW avec le minimum vital, faire le tour de la Terre, la tête dans les étoiles et les yeux au fond du coeur des personnes que l'on croise... On en a tous rêvé un jour ou l'autre, une mauvaise période de notre vie que l'on aimerait oublier, un moment où l'on se sent enfermé dans nos habitudes ou alors, comme seul petit moteur de l'esprit, cette démangeaison au niveau des jambes, qui nous demande de partir, d'aller voir comment ça se passe ailleurs. Alors on sort le Petit Routard, on se dit qu'un jour on lui ressemblera, avec son grand sac à dos plein de curiosité et de souvenirs. On s'allonge sur le lit, la fenêtre grande ouverte, comme pour mieux se libérer l'esprit.


Les oiseaux chantent, dehors, ils sont libres. Les idées elles aussi se mettent à chanter, elles vagabondent, de plus en plus loin, cela fait maintenant bien longtemps que notre esprit a dépassé les frontières de la fenêtre, la maison elle-même paraît toute petite, lorsque l'on tourne rapidement la tête pour regarder derrière soi. On n'a d'ailleurs pas envie de regarder trop longtemps en arrière, trop pressé de tout quitter, de s'envoler au loin, sans se soucier de quoi que ce soit; pour une fois que l'on part sans se retourner, c'en est presque jubilatoire, l'euphorie nous enveloppe, on se sent porté sans aucune difficulté vers un monde nouveau, de nouveaux visages, des sourires accueillants. Ces sourires ne sont pas comme ceux d'il y a quelques minutes, ils ne ressemblent à aucun sourire qu'on n'ait encore rencontré. Ceux-ci donnent envie d'y répondre, rien ne semble surfait, la générosité avec laquelle on est accueilli ne peut venir d'ailleurs que du fond du coeur de ces personnes. Les dents leur manquent, les visages sont très marqués par la rudesse de leur vie, on ressemble à un bébé à côté de ces personnages. Puis celui qui pourrait bien être le chef du village s'avance, à l'aide de sa canne taillée dans un bois magnifique, très sobrement décorée. Il ne dit rien, mais son regard parle le langage des Hommes, c'est un langage universel. On se sent immédiatement mis à nu par ce regard perçant, on a l'impression que le vieil homme nous a compris dans toute notre complexité en une fraction de seconde, puis il s'avance encore et dit: "je t'attendais". Toute la forêt alentour semble tout à coup démêlée, cette forêt que l'on croyait vierge, avec tous les dangers qu'elle abrite, nous semble tout à coup grande ouverte, comme les portes d'une immense cathédrale qui s'ouvriraient et qui nous laissent entrevoir les rayons d'un soleil d'été qui passe à travers le vitrail des frondaisons. La fraîcheur de cet endroit merveilleux se sent déjà d'ici, et on se dit qu'il n'est pas possible qu'un tel endroit ne soit pas habité. La cathédrale ne nous apparaît plus du tout vierge ni stérile, mais regorge de vie, et on a l'impression de n'être plus qu'un minuscule puceron qui se balade sur un immense rosier, dont les ramifications s'étendent à l'infini.


Et on rencontre encore des centaines d'autres pucerons, qui tous poursuivent un rêve, eux aussi. Mais eux ne vont pas forcément de le même sens que nous: ils suivent leur propre guide interne, ils écoutent leur propre petite voix intérieure, qui les mènera jusqu'au bout de leur monde à eux. Si cela se trouve, le but ultime de notre quête sera leur point de départ, qui le saurait? Libérés de toute futilité, nous ne transportons plus de sac à dos, nous sommes désormais libres de remplir notre esprit, de photographier les magnifiques paysages avec notre coeur, nous pouvons vivre, pleinement. Il ne nous reste plus qu'une chose à faire: observer, apprendre, et ne jamais perdre de vue notre objectif. De temps en temps, on ressent la présence du vieil homme qui nous guide, qui nous parle tout bas, et qui nous dit quelle direction emprunter.


Le décor change encore: à force de méandres, de monts et de vaux, nous empruntons tout à coup un chemin plus noueux, l'avance est moins facile, on roule sous d'immenses boules que l'on peine à contourner. A peine a-t-on réussi à en gravir une, qu'une multitude d'autres se présentent à nous, comme tant d'obstacles insurmontables qui semblent vouloir nous empêcher de poursuivre notre rêve. Malgré tout, leur odeur enivrante nous donne envie de goûter à ces fruits que nous reconnaissons maintenant, car nous avons réussi à prendre un peu de recul grâce aux ailes que nous avons dénichées au détour d'une grappe. Transformés en coccinelle, nous parcourons maintenant à nouveau allègrement cette nouvelle plante, que nous considérions comme une barrière infranchissable il y a encore quelques minutes. Et puis, on prend encore un peu de recul, et l'on reconnaît la vigne vierge qui pousse sous la fenêtre.


O
n ouvre les yeux, on regarde autour de soi, les ailes ont disparu, les centaines de chemins entremêlés ne sont plus qu'un vague souvenir, mais on se sent différent. En se réveillant de cette petite évasion, on s'aperçoit que le sac à dos est resté bien loin en arrière, chargé de tous ces souvenirs que l'on tranportait avec peine, en croyant que ce sont eux qui nous permettraient de survivre dans un milieu que l'on croyait si hostile. En fin de compte, l'esprit s'est libéré de toutes ses charges l'espace d'un instant, on a coupé le téléphone, rompu toutes les amarres et largué tous les lests qu'on avait sur les épaules et qui nous masquaient les souvenirs ancrés dans notre coeur, ceux qui nous ont permis de rencontrer le vieillard de notre conscience, souvenirs qui sont, au final, aussi purs que la vigne qui pousse à un mètre de nous est vierge. Et, en écoutant bien, en mettant l'oreille tout près d'une coccinelle, on a parfois l'impression d'entendre une toute petite voix qui nous dit: "je t'attendais, continue ton chemin, je te guiderai". Essayons de ne pas la perdre trop souvent!

Aucun commentaire: