30 novembre 2012

Petit bout de Canada




Ma cabane au Canada

Photo réalisée le 8 août 2010



Bon, d'accord, celle-ci se trouve dans le canton de Lucerne. Mais tout de même, elle me fait un peu rêver, cette cabane. Depuis très longtemps, cette envie de tout quitter pour aller vivre en ermite au fin fond du Canada me tenaille les entrailles. Pourquoi? Pour vivre un rêve de gamin, un rêve qui se construisait en même temps que mes cabanes en forêt, un endroit où je pouvais passer des journées entières. Un endroit où j'étais seul, où je me sentais libre et heureux de pouvoir fabriquer tout ce que je voulais, tout ce dont j'avais besoin, à partir de quelques branches, pierres et un peu de ficelle. Pour me prouver que vivre en totale dépendance de la nature était possible, j'ai même fait une semaine de vie en pleine forêt, lorsque j'avais 15 ou 16 ans.

Depuis ce jour, rien n'était plus impossible, et aller vivre au pays des lacs et des sapins devenait une réalité qui n'avait plus rien d'abstrait: dans mon esprit, cela n'était plus qu'une question de temps. Et puis le temps a passé, les études, ma formation, tout s'est très vite enchaîné, et la réalité qui était devenue pour ainsi dire palpable s'éloignait à nouveau. Mais un rêve ne s'efface pas si aisément, heureusement, d'ailleurs. S'il ne s'efface pas, il peut en revanche se transformer à volonté.

La volonté, du moins la mienne propre, n'est pas l'acteur principal de la transformation, mot un peu fort, je dirais plutôt "évolution" de ce rêve-ci. Aujourd'hui, mon rêve d'exil, d'érémitisme se rapporte moins à un défi envers moi-même et ma capacité à subsister par mes propres moyens, mais s'apparente plutôt à un rapprochement entre l'homme et la nature, entreprise pour laquelle il est indispensable que l'homme s'éloigne  de l'homme. La civilisation moderne, telle qu'on la connaît en Occident, a goudronné la nature, pensant ainsi la dompter. Cette société dont nous faisons partie a érigé un mur entre l'homme et la nature, plaçant l'homme tellement au-dessus de la Terre qu'il songe maintenant à coloniser les autres planètes. Et pourtant, au fond de nous, nous savons tous que cette Terre, nous lui devons tout, et que nous sommes en train, à force de fermer les yeux sur tant de choses, de nous en séparer. Nous savons que nous en faisons partie, que nous avons besoin de cette nature, pas seulement pour aller se promener le dimanche, mais tous les jours! Nous le savons, mais combien d'entre nous font quelque chose?

Alors, à ma façon, aller vivre seul dans une cabane isolée de la civilisation, et non du monde, c'est aussi une manière de m'opposer à ce mouvement d'autodestruction, une manière de me retirer d'un engrenage si gigantesque que tout nous échappe. La solitude permet de vivre de manière authentique et juste envers une nature dont nous faisons partie intégrante. Je cherchais des synonymes du mot ermite, et parmi les propositions apparaît le mot "sauvage". J'aime ce mot qui, aujourd'hui, est plutôt attribué au monde animal. J'aime l'idée que l'on puisse associer un homme au monde animal par un simple concept d'éloignement de la société. La définition même du mot ermite est donc un rapprochement de la vie sauvage, par un éloignement de la civilisation, jusqu'à devenir soi-même sauvage. Que signifie alors sauvage? Est-ce une perte de l'identité humaine, que de se rapprocher de la nature?

31 octobre 2012

Mare nostrum



Notre mer qui êtes au large...

Photo réalisée le 12 octobre 2012



Il porte un nom masculin, mais je ne peux m'empêcher de me le représenter comme féminin, et même plus, comme maternel. Son caractère est changeant, bien que lui-même dans sa totalité semble d'une stabilité totalement hiératique. Et, malgré sa patience à toute épreuve, il sait nous prévenir lorsque nous dépassons la limite, et nous punit si nous ne sommes pas à son écoute. Imprévisible, du moins quand on ne le connaît que superficiellement, il nous surprend souvent, alors on subit ses sautes d'humeurs aux conséquences souvent mineures, mais qui parfois vous font apprécier la vie à sa juste valeur. Il porte en son sein une si grande richesse qu'il faut un grand respect pour continuer d'en jouir, sans quoi il risque bien de nous bouder notre subsistance, tant matérielle et gustative, que spirituelle. Parfois même, de son bon vouloir dépend notre vie, lorsqu'il s'emporte d'un si grand élan d'enthousiasme qu'il se surprend lui-même à jouer des tours à ceux qui oseraient, témérité sans limite, se lancer le défi de s'y frotter d'un peu trop près. Et alors quand, par une volonté supérieure à la nôtre, nous en sortons indemnes, c'est à nous d'en tirer les leçons et de fixer nos propres limites afin de ne pas tenter une nouvelle fois, la chance sourit aux avertis. 



C'est là la sagesse qu'il peut nous transmettre: il nous tente, met notre conscience et nos connaissances à rude épreuve, et de la confiance en soi et de l'humilité face aux évènements que l'on ne peut pas toujours maîtriser dépend directement notre survie. Il nous apprend alors à nous maîtriser nous-mêmes avant de tenter de maîtriser quoi que ce soit autour de nous. Et, si par mégarde, l'on eût cru un seul instant en une parfaite connaissance de soi, de son équipement et des éléments desquels nous dépendons directement, il s'octroie volontiers le plaisir de nous rappeler à l'ordre, de nous réapprendre à chaque instant que nos certitudes ne sont pas si inébranlables que nous l'aurions imaginé.



Dans sa grande empathie, il laisse cependant quelques signes précurseurs à celui qui voudra bien se donner la peine d'essayer de le comprendre, ou du moins de décrypter son langage non verbal. Lorsqu'une grosse colère sommeille en lui, il est bon de savoir s'en méfier et de ne pas envenimer la situation, ou du moins d'aller se trouver un abri. Et il arrive très souvent qu'il soit si généreux que l'on se sent bien, à ses côtés. Dans les beaux jours, sa chaleur enveloppante, son caractère calme et serein, nous invite à la méditation, au repos. On adopte en quelque sorte le même aspect que lui: dans les moments mouvementés, nous avons plutôt intérêt à nous agiter un tant soit peu, et lorsqu'il est calme, il nous le transmet avec sa grande force de communication. Il est parfois si calme, qu'il nous renvoie notre propre reflet, si nous sommes assez paisible pour prendre le temps de regarder en lui, de le sonder. Plus proche qu'un ami, il est notre mère, on aurait envie de s'y confier, de s'en remettre à lui, et notre confiance en lui augmente à chaque rencontre, car il est juste. D'une justice absolue, presque divine. Inconstant dans ses humeurs, la constance est à chercher dans les épreuves auxquelles il nous soumet. Le salut ne dépend que de notre réaction, il n'a jamais trahi personne, la sournoiserie et le mensonge ne sont pas dans son répertoire.



C'est un élément, et sa complémentarité avec ses trois autres homologues nous prouve une fois de plus la nécessité de communion, de partage avec notre environnement. De lui, j'ai plus appris pour ma vie que de n'importe qui d'autre. J'ai appris les relations entre les Hommes, entre les Terriens et leur mère porteuse. Cet élément, l'eau, le lac, m'a permis de ressentir ce que je n'aurais jamais ressenti, ni pris le temps d'essayer d'y parvenir, il m'a rapproché de moi-même. Il m'a aidé à trouver des solutions lorsqu'il n'y en avait aucune à mon horizon, il m'a permis d'accepter ou au moins de vivre dignement malgré les difficultés, il m'a confronté à moi-même plus d'une fois. Kersauson disait, à propos de la navigation en solitaire: "en mer, on n'a rendez-vous qu'avec soi-même. Il n'y a personne pour vous poser de problème, et je me trouve de bonne compagnie." Bien sûr, il n'y a pas que le côté solitaire, le partage de bons moments entre amis, en famille, en amoureux fait partie de tous les enseignements que j'ai pu en retirer. Aujourd'hui, avec le recul que je viens de prendre, je me pose une question: comment le remercier?

30 septembre 2012

Qui vole un oeuf...


On ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs!

Photo réalisée le 30 septembre 2012


Combien fait la somme de tous les chiffres et de tous les chiffres composant la somme de cette précédente somme, de ce numéro de plaque: 217268? Je peux vous répondre d'un seul coup d'oeil que cela nous donnera 8. Bon, calmons-nous. Qu'est-ce que c'est que cette entrée en matière? J'aime beaucoup rouler, vous le savez peut-être. Cela me donne du temps pour laisser vagabonder les idées qui se bousculent d'habitude dans la tête, alors que sur la route, lorsque j'ai une bonne demi-heure d'autoroute à faire, je peux plus aisément mettre de l'ordre dans ces idées et donc me consacrer à une rédaction mentale de la prochaine photo du mois. Non, je plaisante, vous ne croyez tout de même pas que je pense tout le temps à internet?!

Enfin toujours est-il que rouler est devenu pour moi un moyen de locomotion agréable de ce point de vue-là. Je me dis, autant faire quelque chose de ce "temps mort". Et il se trouve aussi que j'aime jouer avec les chiffres. Depuis plusieurs années, le chiffre neuf s'est petit à petit imposé comme favori. En fait, cela a commencé le jour où mon professeur de mathématiques, au collège, avait démontré à ma classe et moi-même, que 0,999999... autrement dit "périodique", était parfaitement égal à 1. Cela me paraissait inconcevable, il y aura toujours une infime partie de ce nombre, aussi petite soit-elle, qui sera plus petite que l'entier suivant! Et pourtant, au vu de sa démonstration, que je ne serais aujourd'hui plus du tout capable de vous retranscrire, j'ai bien dû admettre que ma conception de l'infiniment petit était tout compte fait plutôt relative. Son signe "égal" m'agaçait, cette multitude de 9 qui s'alignaient les uns derrière les autres était d'une énervante audace. De plus, entre le 9 et le 1, on a toute la gamme des autres nombres connus, comment deux chiffres aussi éloignés l'un de l'autre peuvent-ils en quelque sorte être tellement proches qu'ils deviennent égaux?! 

J'ai adopté depuis ce jour une attitude de méfiance quant au chiffre neuf. Et puis, à force de m'intéresser en détail à ce nombre, par méfiance d'abord, puis par curiosité, l'appétit est venu en mangeant, en quelque sorte. Je me suis donc aperçu que tous les multiples de 9, lorsque l'on additionne les chiffres composant leur résultat, redonnent systématiquement 9! Ainsi, par exemple, 7 fois 9 font 63: 6 et 3 font bien 9. Il en va de même pour les multiplications plus complexes, comme 34 fois 9, qui font 306, ou encore 15269 fois 9, qui font 137'421, donc 18, donc 9. Et évidemment, c'est réversible: tout nombre dont la somme de ses chiffres fait 9, est systématiquement divisible par 9! Je souris en vous imaginant maintenant en train de tous vérifier sur votre calculatrice... Et c'est bien là mon idée: vous donner un peu de ma curiosité pour ce fameux chiffre. 

Mais alors, quel est le rapport avec notre histoire de plaque minéralogique? Avec les années écoulées depuis mon acquisition du permis de conduire, j'ai déjà cumulé pas mal d'heures d'observation sur les routes. Et comme parfois il arrive que je ne sache plus quoi faire ni à quoi penser, je me mettais à additionner entre eux les chiffres de toutes les plaques minéralogiques qui se trouvaient devant moi. Et, au fur et à mesure de mes calculs, je trouvai une fois par hasard, grâce à un numéro qui s'y prêtât bien mais dont je ne me rappelle plus, comme par exemple 180070, dont le total fait 16, et en additionnant le 1 et le 6, j'obtins les 7, qui, dans ce numéro de plaque, saute tout de même aux yeux. J'émis alors l'hypothèse qu'en formant des groupes de 9, comme ici le 1 et le 8 forment une somme de 9, on pouvait simplement les "éliminer" du calcul. Et cette hypothèse s'est vérifiée, je découvrais avec toujours plus d'étonnement que ce que je pris pour une coïncidence, était en réalité une règle totalement juste! Ainsi, pour reprendre notre tout premier exemple, le numéro de plaque 217268, on peut simplement additionner tous les chiffres (2+1+7+2+6+8) et cela nous donnera 26, et en additionnant ensuite le 2 et le 6, on obtient les 8 que je prétendais voir d'un seul coup d'oeil. En effet, nul besoin d'être un surhomme pour effectuer cette déduction beaucoup plus rapidement que la majorité des gens. Si j'emploie ma méthode, je regroupe le 2 avec le 7, que j'élimine de mon calcul. Ensuite, j'élimine encore le 1, le 2 et le 6, qui font aussi un groupe de 9. Enfin, il me reste le 8 qui me donnera la réponse finale!

Voilà à quoi je pense, quand vous me croisez dans ma voiture et que par mégarde je ne réponds pas à votre signe de la main!

31 août 2012

Minimaliste


Emergence

Photo réalisée le 12 juin 2010



Nous vivons ce que beaucoup d'entre nous aiment appeler "une période de décroissance". Ce que nous entendons par décroissance, ce n'est pas le fait régresser, mais bien de ne plus croître. Jusqu'à aujourd'hui, il fallait, pour la santé d'une entreprise, d'une relation humaine, etc, il fallait toujours plus, il fallait toujours faire grandir ce que nous possédions. Une entreprise qui ne faisait pas de croissance était une entreprise au bord de la faillite. Aujourd'hui, le concept de décroissance commence à faire son chemin, même si dans beaucoup de domaines cela reste encore inapplicable. 

Mais je pense que ce concept peut aussi s'appliquer à notre vie quotidienne: en freinant la consommation irréfléchie de biens, en réparant plutôt qu'en remplaçant. Ces petits actes "minimalistes", qui tendent à faire moins, seraient le premier pas vers une vraie décroissance qui s'appliquerait dans chaque ménage, dans chaque magasin, et à plus grande échelle, un jour peut-être. Au niveau relationnel, il y aurait aussi quelque chose de faisable, dont beaucoup d'entre nous ont déjà conscience: une chose toute simple serait par exemple de trier parmi les milliers d'amis de réseaux lesquels sont de vrais amis avec qui l'on pourrait discuter un après-midi en marchant, en jouant aux cartes ou encore en ne faisant rien. Et soigner ces relations en laissant de côté les autres relations qui ne nous apportent rien ou auxquelles on ne peut rien amener. Minimaliser le nombre de relations pour maximiser leur qualité.

Toujours dans cet esprit minimaliste de décroissance, je vais m'arrêter ici aujourd'hui, en vous laissant cette petite phrase de René Dubos comme conclusion:


"L'un des pires démons de la civilisation technologique est la soif de croissance."

31 juillet 2012

Coccinelle


Légende

Photo réalisée le 13 avril 2008


La légende raconte que le matin d'une journée ordinaire, dans une forêt très dense et peuplée de plein d'animaux, une petite coccinelle se réveilla comme d'habitude, observa légèrement le ciel, mais elle savait que cette journée serait exactement comme les autres, qu'il ferait beau et qu'elle profiterait bien du soleil pour virevolter à sa guise pour chercher ici ou là quelque friandise. Mais l'heure n'était pas encore au déjeuner, il fallait d'abord faire un brin de toilette, se dit-elle, encore à moitié endormie. C'est quand elle commença à se lisser les ailes qu'elle s'aperçut, avec effroi, que...

-Oh mon Dieu! J'ai perdu tous mes petits points! Comment est-ce possible?! Au secours, au secours, j'ai perdu tous mes petits points, criait-elle à tout va. Mais ses cris désespérés restaient sans grand effet, elle était si petite que personne ne l'entendait. Alors, dépitée, elle commença à chercher, peut-être se sont-ils glissés sous cette écorce, où elle s'est endormie? Ou alors derrière ces quelques feuilles, ou peut-être dans la petite flaque d'eau qui lui avait servi de lavabo hier soir? Mais non, rien à faire, elle restait désespérément bredouille. A croire qu'ils ont définitivement disparu! se dit-elle.

Alors, elle lança quelques connaissances à la recherche de ses petits points. Elle eut beaucoup de peine à se faire reconnaître, elle qui avait perdu son identité, en quelque sorte. Mais personne de ses amis n'avait aperçu le moindre petit point. Elle décida alors de demander à monsieur hibou, lui qui a de si bons yeux. Lui aussi, eut beaucoup de peine à reconnaître notre petite coccinelle.

-Bonjour, monsieur hibou, désolée de vous réveiller en plein après-midi, mais j'ai besoin de votre aide. Quelque chose d'effroyable m'est arrivé cette nuit!
-Houhouhou! Bonjour, coccinelle, raconte-moi ton histoire... Je finirai ma sieste tout à l'heure!
-Eh bien en me réveillant ce matin, je me suis aperçue que tous mes petits points avaient... disparu! J'ai cherché partout, mes amis lapin et grenouille m'ont bien aidée, mais nous sommes trop petits pour chercher dans toute la forêt! Nous n'avons rien trouvé, et nous pensions qu'avec vos yeux très perçants, vous pourriez nous aider?!
-Eh bien, c'est une terrible histoire que tu me racontes. Mais je suis désolé, coccinelle, je ne peux rien pour toi. Tu le sais bien, je ne chasse que la nuit, mes yeux sont très bons la nuit, mais je ne peux rien faire pour t'aider, de jour. Et tes petits points, tout noirs, je ne les verrai jamais quand le soleil sera descendu.

La coccinelle était désemparée. Elle était vraiment sûre que monsieur hibou aurait pu l'aider. Qu'à cela ne tienne, si il ne pouvait rien voir la journée, elle irait demander à monsieur aigle, qui, lui, chasse très bien de jour! Et la voilà partie dans les hauteurs de la falaise, un peu plus loin, près de la cascade. Après un long voyage, portée par ses toutes petites ailes, soumise aux vents violents qui soufflent tout en haut de la montagne, elle arrive enfin au nid de monsieur aigle, qui ne l'accueillit pas très chaleureusement.

-Que fais-tu dans mon nid, misérable insecte? Si je viens me percher si haut, c'est justement pour ne pas qu'on vienne me déranger!

Et d'un coup d'aile, il envoya rouler la coccinelle qui n'eut même pas le temps de souffler un peu en arrivant au sommet de son escalade. Et elle tomba, percuta quelques rochers avant de réussir à se stabiliser et ouvrir ses ailes pour freiner sa chute. Triste, elle continua de descendre à nouveau dans la vallée, ne sachant plus à qui demander de l'aide pour retrouver ses petits points. Elle commençait à se dire qu'elle ne les retrouverait jamais, qu'elle ferait mieux de laisser tomber sa recherche, lorsque tout à coup, elle tomba sur un régiment de fourmis en plein travail! Elle s'approcha d'un caporal, qui la conduisit à la reine, à laquelle la coccinelle expliqua toute son histoire. Aussitôt, la reine des fourmis ordonna qu'un détachement s'occupe immédiatement de notre pauvre coccinelle. Par chance, le chef de ce petit bataillon était le caporal qu'elle avait rencontré un peu plus tôt.

-On va vous aider, ne vous inquiétez plus, ma petite dame! Le caporal voulait rassurer la petite coccinelle, mais elle ne voyait pas vraiment comment il allait s'y prendre, elle qui avait déjà demandé aux meilleurs yeux de l'aider, sans résultat. 
-Il sera effectivement difficile de vous les retrouver, vos petits points. Mais nous avons plusieurs amis dans la forêt qui sont déjà avertis et qui font le nécessaire pour vous en créer de tout beaux, tout neufs! 
La coccinelle n'en revenait pas: elle aurait donc de nouveaux points? Une nouvelle identité? Après tout, pourquoi pas, se dit-elle! Cela me donnera une nouvelle jeunesse, je serai encore plus belle qu'avant!
-Alors en route, ne traînons pas plus longtemps! ordonna le caporal à ses troupes. Direction: le lac! 
Et toute la bande se mit en marche, les soldats entourant la coccinelle. Elle se sentit soudain très bien: c'était la première fois qu'elle reprenait espoir et commençait à croire que, finalement, elle allait tout de même ressembler à une vraie coccinelle!

Arrivés au lac, les compagnons se dispersèrent pour monter la garde tout autour du raton laveur qui était déjà averti de sa mission par quelques soldats qui étaient partis en éclaireurs. Dans l'eau, on pouvait apercevoir madame pieuvre qui attendait patiemment les ordres du caporal. La coccinelle ne comprenait pas ce que ces animaux pouvaient bien lui apporter, mais elle décida de faire confiance au caporal des fourmis, il avait l'air de savoir ce qu'il faisait. Et hop, en quelques ordres, la pieuvre se retourna, cracha tout au bord de l'eau un gros nuage d'encre, dans lequel monsieur raton laveur s'empressa de tremper le bout de sa queue. Ainsi chargée d'encre, elle ressemblait à un gros pinceau. Alors le caporal appela maître Leonardo, qui était réputé comme très mauvais soldat, mais excellent architecte et un peu artiste dans l'âme. Aussitôt dit, aussitôt fait: Leonardo arracha en s'excusant un poil de la queue de raton laveur. La coccinelle comprit rapidement qu'elle allait enfin recevoir ses nouveaux points, exécutés par le plus grand artiste qu'elle connaissait! Leonardo s'exécuta, et en quelques coups bien ajustés de poil de raton laveur, la coccinelle était si bien ornée que tout le monde poussa un grand soupir d'admiration.

-Eh bien, ma petite dame, vous voilà prête à virevolter encore plus gaiement qu'auparavant! commenta le caporal. 
-Oh, je ne sais comment vous remercier! Ce que vous avez fait pour moi est tout simplement magnifique!


Et c'est ainsi que, depuis ce jour, toutes les coccinelles rivalisent d'astuces pour tenter d'égaler la beauté de cette coccinelle légendaire, mais personne n'a encore jamais aperçu une aussi belle coccinelle que ce jour-là. Et pour cause! Aucune coccinelle n'a encore osé se présenter chez les fourmis pour demander un petit autographe de maître Leonardo!

26 juin 2012

Tabula rasa


Quelle est la limite d'une bille?

Photo réalisée le 23 octobre 2009




Tabula rasa, comme on dit, ou table rase... Faire table rase, tout balayer, tout ranger pour tout recommencer, purifier, assainissement parfois nécessaire, repartir de rien pour construire à nouveau, bâtir sur de nouvelles bases. Partir, poursuivre une route, toujours droit devant, dans l'idée de s'éloigner de tout. Partir pour oublier, peu importe la direction, pourvu qu'on s'éloigne, pourvu qu'on puisse vivre ce rêve dont on a toujours enfoui l'existence. Tabula rasa... Le changement. Avancer, surtout ne jamais rester sur place, ne pas prendre racine, les racines sont dans les chaussures, les pas qui nous attendent invitent à la découverte, les pas que l'on a déjà accomplis forment nos souvenirs, et alors la réalité se simplifie à l'extrême avec cette seule notion géographique du passé qu'on laisse derrière soi et du futur qui nous attend, impatient de nous montrer tout ce qu'il nous réserve depuis tout ce temps, et le présent que l'on vit ici et maintenant, de tout son corps, de toute son âme, que l'on partage de tout son coeur. L'Homme avance, et son esprit est en lui, ses pensées sont avec lui, toute l'énergie est concentrée sur lui-même et ce qu'il y a à vivre, à observer, à écouter, à patienter, à chaque instant de la vie qu'il se crée alors de toute pièce, guidé par son seul instinct, par cette petite voix qui résonne en lui non plus comme un sanglot étouffé sous un coussin, mais comme une réelle invitation, un encouragement qui grandit à mesure qu'on l'écoute et qu'il nous fait grandir. L'Homme avance, l'Homme grandit. 

On n'oublie jamais rien, les évènements marquants de la vie restent à jamais, on s'en rend compte lorsque l'on prend le temps d'y réfléchir. Il y a des mécanismes dont nous sommes tous dotés qui nous permettent de mettre de côté les évènements trop négatifs pour ne garder que le meilleur au-dessus de la mêlée. Car inconsciemment, on a compris il y a bien longtemps qu'il ne servait à rien de ressasser ce qui ne va pas, mais au contraire trier et continuer de construire en partant de ce qui nous arrive de bien. On construit avec de belles briques, pas avec des pierres toutes anguleuses et friables. Il ne s'agit donc pas de chercher à oublier, mais de trier, de mettre l'accent sur ce qui le mérite vraiment, et de ne plus penser au passé. Tabula rasa... Les souvenirs sont bons, uniquement lorsque ce sont de bons souvenirs. Et puis, à force de fuir, l'Homme sait aujourd'hui qu'il finira bien par revenir au point de départ, même en suivant la route la plus rectiligne possible. La question sera alors de savoir où s'arrêter dans cette course folle, faut-il s'arrêter?

On ne sait jamais ce qui nous attend plus tard, c'est ce qui fait la beauté d'une vie. Si je prends ce chemin, où vais-je atterrir? Est-ce que je pourrai faire demi-tour? On se pose parfois ces questions, et on tente de prendre la meilleure décision possible, tout en sachant que dans une semaine, un mois, dix ans, on se rendra peut-être compte que cette décision n'était peut-être pas la meilleure. Alors il y a les méthodiques: toujours tout droit, tête baissée, on ne se pose pas de question. En principe on arrive assez loin, mais on loupe peut-être quelque chose à ne pas se laisser surprendre par les bas-côtés. Il y a les papillons, qui virevoltent à gauche à droite, pour ne surtout rien laisser, ne rien rater. Ils ne vont généralement pas loin, mais leur chemin est parcouru de beautés insoupçonnées. Chacun a sa manière d'avancer, et qu'il faut, pour réussir sa quête, respecter avant tout; l'essentiel n'étant pas le but, mais le chemin pour y parvenir, ainsi que le disait un grand sage. Tabula rasa? Oui, car plus on arrive à nettoyer son esprit, à se libérer de tout agenda et distractions qui nous font perdre notre temps, plus on arrive à l'essentiel, plus notre oreille arrive à communiquer avec le coeur et commander les yeux et les pieds dans la bonne direction. Chaque geste devient alors l'accomplissement de soi, la parole n'est plus un simple moyen de combler un vide oppressant parce qu'on en avait peur, maintenant on aime ce vide, car il est comme la toile blanche de l'artiste, sur laquelle nous pouvons inscrire librement nos pensées, vivre sans a priori chaque nouvelle situation, il n'y a plus de préjugé, mais uniquement du jugé, du présent.

Alors cette ligne d'horizon, là-bas, au loin, nous attire irrémédiablement, car c'est la pureté totale, cette ligne parfaite, doucement courbe, cette démarcation entre l'eau et le ciel est si nette et pourtant si confuse. Qu'y aura-t'il après? On y va, et l'on se retrouve soudain entouré par cette ligne, et alors on ne sait plus non plus ce qu'il y avait avant. On est un tout petit point au milieu d'un océan gigantesque, un tout petit point au milieu de toute une galaxie, de tout un univers... Et l'on se pose la question: quelle est la limite que représente cette ligne?

29 mai 2012

Noctambolesque


La nuit, tous les chats sont gris... Peut-être.

Photo réalisée le 28 avril 2012


La nuit tombe sur le jour, comme la lame de la guillotine sur la nuque du condamné, alors on ferme les yeux car le spectacle n'est pas rassurant: les grands prédateurs sortent de leur tanière, la nuit laisse libre cours à l'imagination de celui qui ose s'aventurer seul en pleine forêt. A mesure que la nuit engloutit les dernières lueurs du soleil, le téméraire est de moins en moins sûr de lui. Le hibou frappe l'air de ses grandes ailes, dans un fracas assourdissant décuplé par l'absence d'image. Les sens se développent, l'ouïe devient plus fine, la pupille se dilate pour mieux capter les ombres se déplaçant sur ce voile noir qui enveloppe tout, l'oppression se fait ressentir, alors l'esprit joue des tours au corps, le coeur s'emballe, les poumons accélèrent sensiblement la cadence, les muscles se contractent, les membres de tout le corps sont prêts à bondir, à réagir face à l'imminente attaque. L'adversité est partout, il se sent comme une bête traquée, la forêt observe maintenant de tous ses yeux, il peut sentir ce regard omniprésent qui se pose sur lui, il ne voit pas la menace, mais elle est bien là, il le sait, au plus profond de lui-même, la menace est tout autour de lui, il la sent, elle est proche, elle s'approche encore, elle est là...

Au loin, il aperçoit soudain une faible lueur. Comme le touareg se dirigeant d'une oasis à une autre, il vise cette lumière qui, il le sait, lui sera salvatrice. Car il sent bien que s'il reste là où il est, il ne s'en sortira pas vivant. Instinct du survie, ou attirance du papillon de nuit, qui recherche paradoxalement la lumière et la chaleur. Il a froid, le noir ne lui mord pas seulement les yeux, mais c'est maintenant tout son être qui est pénétré des ténèbres. Il se met à courir, toujours plus vite, croyant échapper à de chimériques menaces, ces menaces-mêmes qu'il invente lui-même, il s'en rend bien compte, mais qui sait, si jamais c'était vrai?!

Jusqu'à aujourd'hui, il aimait la nuit, il en avait une certaine appréhension, sachant ce qu'elle peut faire déferler dans son esprit une fois seul. Mais en même temps, la nuit l'a toujours inspiré. C'est le moment de calme dans la journée, c'est le moment où il pouvait faire le point sur sa vie, prendre un peu de distance par rapport aux évènements nouveaux, ou simplement s'évader le temps d'une petite balade en solitaire, les pensées occupées uniquement par sa méditation. Une musique dans la tête? La solitude de Georges Moustaki? Mon vieux, Daniel Guichard? La mélancolie, sa plus fidèle compagne, c'est la nuit qu'il la retrouvait, c'était sa plus douce amère habitude. Il l'avait bien laissée de côté quelquefois, parfois pendant longtemps, mais elle l'attendait patiemment, ils savaient tous les deux que leur histoire ne s'arrêterait jamais, ils étaient les gardiens des phares de haute mer une nuit, et la fois suivante ils étaient les bâtisseurs d'une cabane dans une forêt canadienne, une autre fois encore ils étaient explorateurs du Groenland.

Les menaces qui pesaient sur lui, qui rôdaient, à l'affût du moindre faux pas, tout autour de lui, lui semblaient alors si lointaines, si légères que les épées de Damoclès se transformaient en plumes de la Dame aux Camélias; il s'envolait dans un pays lointain, il allait respirer l'air pur de la Cordillère des Andes, il plongeait rendre visite aux baleines bleues en compagnie du commandant Cousteau. 

Non, vraiment, il n'était jamais seul, avec sa solitude...

29 avril 2012

International

Banquise de Forel

Photo réalisée le 5 février 2012


Chères lectrices, chers lecteurs,

J'ai une nouvelle à vous annoncer: vous avez dépassé les 2500 visites! Depuis maintenant près de quatre ans, vous me suivez partout dans mes textes et mes illustrations, je vous suis infiniment reconnaissant de cette grande loyauté. J'ai pris le temps cet après-midi d'aller jeter un petit coup d'oeil aux statistiques du site, et j'ai été très surpris de voir autant de visites, premièrement, mais surtout de voir que vous me lisez depuis des pays totalement inattendus! Les pays voisins de la Suisse peuvent encore me paraître compréhensibles, comme l'Allemagne ou la France. Mais quand je vois que certains d'entre vous m'ont déjà lu plusieurs fois depuis la Russie, les Etats-Unis ou encore le Royaume-Uni, la Belgique et même le Chili, je dois dire que cela me surprend tout de même. Alors merci pour toute votre fidélité!

C'est pour cette raison que je vous poste aujourd'hui une photo que j'ai prise récemment, rappelez-vous, quand il y a eu cette grande vague de froid au début de l'année. Cette photo me fait penser à un Fjord ou à la Sibérie, je pense à un endroit dans le Nord, un endroit paisible et reculé, propice aux réflexions. C'est un événement qui m'a marqué, et qui ne se reproduira pas si souvent, je pense. C'est pourquoi je m'étais empressé de saisir mon appareil photo afin de garder une trace de cet épisode mémorable. Qui sait, un jour, quand on racontera à nos petits-enfants qu'il y avait encore de la neige en hiver, dans la plaine, peut-être ne nous croiront-ils pas? Les plus extrémistes prédisent la fin du monde, ou en tout cas de notre civilisation pour la fin de cette année, les plus modérés parlent d'un éventuel grand changement, d'une prise de conscience collective qui bousculera toutes nos vies... Personnellement, j'ai l'impression que le changement a déjà débuté il y a quelques temps, les efforts des uns s'unissent de plus en plus à ceux des autres, même s'il nous reste un grand chemin à parcourir avant la grande révolution écologique dont parlent certains. Alors peut-être y aura-t-il un événement marquant qui unira définitivement les Humains, et pas uniquement dans un monde virtuel, mais en réalité, de manière palpable. Un peu comme vous, lectrices et lecteurs, qui apparaissez tous ensemble sur mon tableau de statistiques, vous vous réunissez au long des mois, derrière vos écrans. Mais au fond, étant donné que je n'ai donné l'adresse de ce site qu'à une vingtaine de personnes tout au plus, cela prouve que la communication entre les Hommes est encore possible, je veux dire la vraie communication, celle qui se passe autour d'une table, lors d'une promenade ou d'une soirée autour du feu. 

Cela me réjouit, et c'est peut-être la révolution que j'attends pour cette fameuse fin d'année. Bien sûr que l'Internet comporte des avantages indiscutables. Le "Printemps arabe", comme on aime à nommer ce qui se passe aujourd'hui en Proche-Orient, n'aurait peut-être jamais vu le jour sans les sites sociaux accessibles maintenant partout et par tout le monde. Sans aller aussi loin, je ne pourrais simplement pas vous écrire tout ceci si cette machine démesurée n'existait pas... Mais il y a des limites à ne pas dépasser, limites que seul l'internaute doit se fixer lui-même, il n'existe aucun "code de la route" pour la toile, chacun y évolue de manière totalement libre. Il y a bien quelques lois qui régissent les droits de copie, par exemple, mais qui changent d'un pays à l'autre. A nouveau, on se heurte à la frontière entre le monde virtuel et la réalité, qui ne sont, à partir d'un certain point, plus compatibles. La grande révolution qui pourrait alors avoir lieu ferait prendre conscience à la collectivité que la vie sociale est finalement plus importante que le site social, qui ne deviendrait alors qu'un simple soutien aux grandes décisions politiques, aux mouvements populaires, comme à celui qui désire simplement s'informer sur un sujet. La tendance serait alors à en faire un support à la réalité, à la vérité, qui ne peut s'établir qu'au cours d'un moment partagé avec une autre personne. L'authenticité d'un échange, d'un dialogue saute alors aux yeux, et nous ferait voir l'évidence même de ce qu'il nous reste alors à faire, de ce que nous ressentons pour une personne, ou de savoir, de ressentir ce qu'un proche est en train de traverser comme épreuves dans sa vie.

Chères lectrices, chers lecteurs, vous qui êtes déjà venu 2500 fois me rendre visite indirectement, ce qui fait tout de même une moyenne de deux visites par jour, tous les jours, je vous remercie. On traverse parfois des étapes où l'on aimerait pouvoir compter sur ces deux visites quotidiennes, et on ne se rend pas toujours compte de la proximité de nos voisins, de nos amis. Vous imaginez donc ma surprise et ma joie en découvrant ces chiffres cet après-midi. C'est pourquoi j'aimerais depuis déjà un petit moment créer cet espace "Carnet de route" (que vous trouvez dans un onglet en haut de cette page), afin de vous laisser un espace où vous pourriez vous exprimer vous aussi sur des sujets qui vous tiennent à coeur, et dont je pourrais aussi, pourquoi pas, m'inspirer, ou tenter d'illustrer vos propos. Le site deviendrait tout à coup moins unilatéral, car je suis persuadé que c'est dans le partage que l'on peut s'épanouir totalement. L'Humain est un animal social, paraît-il, parce qu'il possède le langage, une certaine forme d'intelligence plus développée que la plupart des autres animaux sur Terre... Je pense qu'il est social dès le moment où l'envie de partager devient plus grande que l'instinct de survie, de "je veux juste sauver ma peau", "chacun pour soi".

Je me réjouis de voir ce que va donner cette fameuse grande révolution... En attendant, je vous adresse toute ma sympathie, et j'espère que l'on pourra, pourquoi pas, se retrouver un jour autour d'un verre! 

Salutations, 

Julien.

25 mars 2012

Tensions superficielles

Tension superficielle, ou galets?

Photo réalisée le 12 mai 2008



Imaginez: un grand bocal dans lequel je mets quelques gros cailloux. J'entasse les galets de manière à en mettre le plus possible. Une fois que j'aurai mis le plus grand nombre possible de galets, le bocal sera donc plein, n'est-ce pas? Alors pour vous démontrer le contraire, je prendrai une bonne poignée de sable, peut-être deux, et le sable comblera les interstices entre les galets. Cette fois-ci, mon bocal sera vraiment rempli. Le sable a cette fois-ci complètement rempli les moindres petits trous, impossible de rajouter quelque chose de supplémentaire! Alors j'irai remplir une carafe d'eau, et aussi simplement que les galets ou le sable, j'arriverai encore à rajouter quelques décilitres d'eau, peut-être un litre. L'eau ne débordera pas, le sable saura, lui aussi, faire une place pour que l'eau puisse se glisser un peu partout entre les minuscules espaces que laisseront les petits grains de sable.

Faites l'expérience, vous serez surpris par la quantité de matière que l'on peut rajouter même lorsque l'on croit que le bocal est plein. J'ai découvert cette petite démonstration lors d'un cours de philosophie, lorsque j'étais au collège. Le prof voulait nous faire comprendre grâce à cette image qu'il ne fallait pas se tromper dans l'ordre de nos priorités, quant au choix que l'on pouvait faire dans notre vie. Par exemple, on peut considérer que les galets représentent la famille, le sable serait les amis très proches, la copine, etc, et l'eau serait ensuite les amis plus éloignés, les connaissances. Si on met la priorité d'abord à nos amis proches et moins proches, il y a beaucoup de risques que l'on ne remplisse le bocal qu'avec du sable et de l'eau, et il ne resterait alors plus la moindre place pour la famille, impossible de rajouter le moindre galet dans un bocal déjà rempli de sable, surtout s'il est encore renforcé par de l'eau.

Cette image m'est revenue aujourd'hui, en écrivant cette photo du mois. Les changements font partie de la vie, il n'y aurait pas de vie si les changements n'existaient pas. Le plus grand changement de la Terre a été de transformer l'atmosphère qui régnait, une atmosphère irrespirable jusqu'à ce que l'eau présente un peu partout commence à s'évaporer, sous l'effet de la chaleur. Les premières plantes ont alors poussé, oxygénant peu à peu l'espace autour d'elles grâce à la photosynthèse. Si l'eau n'eut pas été présente, les plantes ne seraient jamais apparues, et l'air ne serait pas ce qu'il est aujourd'hui, le ciel ne serait pas bleu non plus. Le premier grand changement que connut la Terre a permis l'apparition de la Vie, et la Vie a permis une quantité énorme de changements supplémentaires; la Vie et les changements forment donc un couple très fusionnel depuis des milliards d'années.

Et pourtant, il est des changements dans une vie qui sont parfois difficiles à accepter. Nous en connaissons tous, nous devons prendre des décisions qui ne nous plaisent pas toujours, ou alors des événements nous poussent à réagir d'une manière qui ne nous correspond pas forcément, mais voilà, parfois le choix n'est pas proposé. Quand le mal est fait, il s'agit de reconstruire ce que l'on peut, avec les morceaux cassés ou quelques pièces neuves. C'est là qu'il faut faire le tri, comme pour le bocal: il s'agit de reconstruire avec de bons galets, et surtout ne pas commencer par les détails, l'eau viendra en tout dernier. Il y a aussi forcément des sentiments qui apparaîtront dans cette reconstruction, à nous de voir lesquels sont vraiment prioritaires, peut-être que la colère ou la peur peuvent nous faire avancer ponctuellement, mais ils restent de l'ordre du sable, peut-être. Afin de pardonner, de tourner une page, parfois si lourde qu'il nous faut des mois, des années pour y arriver, il est utile de savoir reconnaître les bons galets, et de les empiler dès le départ.

Alors, une fois tous les éléments rassemblés, le bocal rempli de la bonne manière, sans rien laisser de côté, la décision s'imposera d'elle-même, les difficultés disparaîtront et la solution semblera si ridiculement accessible qu'il se pourrait même qu'on en rie. Et sans que l'on ne s'en aperçoive, la décision si difficile aura déjà été prise, le gros du boulot aura déjà été fait.

25 février 2012

Musique du coeur


Une vibration

Photo réalisée le 14 juin 2010




C'est elle qui fait vibrer les hommes, elle qui libère leur esprit trop encombré de pensées trop souvent négatives. Elle représente pour beaucoup de monde un exutoire, une île au milieu des tempêtes qui nous assaillent sans relâche. Elle transporte bien au-delà de l'imagination, elle fait vivre des émotions parfois inattendues, voire inconnues ou refoulées. Elle fait ressentir ces sentiments refoulés à l'aide de toute une panoplie très élaborée, allant d'accents mineurs les plus déchirants aux accords majeurs, si majestueux, en passant par des passages dits "à vide". Avec sa palette de couleurs de base dans les mains, elle décline toute sa beauté et sa générosité dans un flamboiement intense de tons tantôt pastel, à peine décelables, mais fortes par leur discrétion et leur douceur, tantôt, lorsque la plante crucifère se fait plus Lucifer, les couleurs deviennent plus vives, plus tonitruantes. Derrière ces images douces ou assourdissantes, il ne faut pas négliger un certain côté sombre, beaucoup plus intime, un côté qu'elle ne dévoile pas si facilement, qui aime se camoufler derrière de beaux accords bien rassurants. Cette ombre n'est pas synonyme d'absence de couleurs pour autant, il suffit d'apporter la lumière nécessaire pour découvrir le monde qui se cachait là. C'est le côté le plus émouvant, celui qui nous fait prendre conscience de nos propres faiblesses, de nos douleurs que nous-mêmes cachons derrière de beaux arpèges...

Je me suis toujours demandé quelle image, quel texte mettre sur la musique, cette chose non palpable, que l'on ne peut que ressentir. Elle est comme le feu, insaisissable, on ne peut la mettre précieusement dans nos mains, elle glisse et s'évanouit aussitôt qu'elle a percuté le coeur. Mais elle est comme le vent, on ne le voit pas mais on voit très bien ses effets, dévastateurs lorsqu'il est mauvais et trop fort, bénéfiques quand il fait tourner les moulins, avancer les bateaux. La musique ne peut s'exprimer que par des images du coeur, on peut bien sûr la décrire avec nos yeux, décrypter de manière très technique chaque accord, mais on aura alors perdu de vue son sens profond, le message qu'elle transportait passera alors inaperçu. Parfois à force de se concentrer, l'esprit intrinsèque de la pièce nous échappe et il est alors vite fait de passer à côté de l'essentiel.

Capricieuse, elle passe par tous les états d'âme, nous emmène avec elle dans ses humeurs, parfois nous l'emmenons avec nous, nous modifions notre perception du monde environnant grâce à elle, ou nous la percevons différemment à cause de notre environnement. La limite n'est pas claire, c'est ce qui fait tout son charme, c'est ce qui la rend vivante, c'est ce qui la rend si humaine, tant qu'on serait prêt à tout pardonner, qu'elle soit trop contemporaine ou trop vieillotte, il y a toujours cette émotion qu'elle nous fait vivre, qui fait battre notre coeur à chacune de ses manifestations, qui nous coupe le souffle pour mieux nous saisir ou qui nous en redonne lorsque l'on en manque.

Elle est mon ange-gardien, elle est ma vie. Je l'aime.

29 janvier 2012

In morte vita

Suite et fin?

Photo réalisée le 9 septembre 2010



Rappelez-vous le texte paru en août 2009, "In vitae vita", la vie dans la vie. En passant par hasard un jour de septembre en 2010, j'eus la demi-surprise de voir ce fameux ancêtre abattu, enfin libéré de ce qui le rongeait de l'intérieur. Une demi-surprise, car en effet, je m'étais bien imaginé que l'Homme ne pouvait pas le laisser ainsi souffrir beaucoup plus longtemps. L'Homme a quelque chose d'intrinsèquement bon en lui, il croit toujours faire ce qui est au mieux. Les répercussions sur la nature, liées à son comportement, ne sont que rarement positives, c'est vrai, mais cela n'est dû qu'au fait qu'il croit faire au mieux: au mieux d'intérêts qui le servent, mais qui malheureusement sont trop rarement compatibles avec ceux de la nature.

Ainsi, le bûcheron qui a abattu notre vieil arbre tout ridé a bien fait de le faire: l'arbre avait perdu trop de vigueur et risquait de perdre son équilibre et de blesser quelqu'un ou simplement de bloquer le chemin. Les intérêts de l'Homme sont ainsi préservés, une fois de plus il a agi de manière intrinsèquement bonne; en protégeant son prochain, il a dû imposer sa loi sur son propre environnement. En passant devant ce peuplier centenaire ainsi laissé pour mort, j'eus un petit pincement au coeur, un si bel arbre qui aurait eu encore tant de choses à apprendre à ses semblables qui poussent, admiratifs, à ses côtés; un si bel arbre qui aurait aussi pu nous apprendre encore tant de choses, si seulement on pouvait parler son langage...

Je suis repassé à cet endroit il y a à peine quelques jours. La mélancolie d'autrefois a laissé place à une grande joie: l'Homme a tout de même respecté, cette fois-ci, ce qui pourrait s'approcher d'un cycle naturel! L'arbre abattu est toujours resté ainsi depuis sa chute, personne ne l'a déplacé. De jeunes pousses sont donc reparties de son tronc en putréfaction. Il a pu continuer son cycle de vie naturel: après la mort de sa graine, c'est sa naissance qui eut lieu, sa maturation puis son vieillissement, et quand l'heure de sa mort fut décidée, il continua de répandre son énergie autour de lui, il a nourri la terre et tous les petits arbustes autour de lui en profitent aujourd'hui, et bientôt ses descendants naîtront à partir de sa mort. Et ce peuplier, au final, n'aura pas vécu quelques centaines d'années, mais des milliers, voire une éternité!

C'est étonnant, au final, de se rendre compte que chaque événement de la vie de cet arbre n'est que le fruit d'une rencontre: il a fallu que la graine rencontre à la fois la terre, l'eau, l'air et la lumière pour pouvoir donner naissance à la jeune pousse qui dut grandir, se frayer un chemin à la recherche du soleil, à travers les ronces inhospitalières. Puis il a fallu beaucoup d'eau pour donner au peuplier toute la force nécessaire pour s'élever aussi haut dans le ciel, par chance sa graine est tombée près d'une rivière. Puis sa vie s'est déroulée, souvent paisiblement, quelquefois un peu plus tourmentée par les conditions climatiques toujours plus difficiles. Jusqu'au jour où il rencontra la lame du bûcheron, qui accéléra brusquement sa fin de vie. Mais il garda son sang-froid jusqu'au bout et reprit ensuite un rythme normal en rencontrant le sol par des endroits de son être qui en étaient si loin, jadis! Et de la rencontre de ses branchages avec la terre, l'eau, l'air et la lumière, sont nées les petites pousses que j'ai rencontrées la semaine passée.