Rappelez-vous le texte paru en août 2009, "In vitae vita", la vie dans la vie. En passant par hasard un jour de septembre en 2010, j'eus la demi-surprise de voir ce fameux ancêtre abattu, enfin libéré de ce qui le rongeait de l'intérieur. Une demi-surprise, car en effet, je m'étais bien imaginé que l'Homme ne pouvait pas le laisser ainsi souffrir beaucoup plus longtemps. L'Homme a quelque chose d'intrinsèquement bon en lui, il croit toujours faire ce qui est au mieux. Les répercussions sur la nature, liées à son comportement, ne sont que rarement positives, c'est vrai, mais cela n'est dû qu'au fait qu'il croit faire au mieux: au mieux d'intérêts qui le servent, mais qui malheureusement sont trop rarement compatibles avec ceux de la nature.
Ainsi, le bûcheron qui a abattu notre vieil arbre tout ridé a bien fait de le faire: l'arbre avait perdu trop de vigueur et risquait de perdre son équilibre et de blesser quelqu'un ou simplement de bloquer le chemin. Les intérêts de l'Homme sont ainsi préservés, une fois de plus il a agi de manière intrinsèquement bonne; en protégeant son prochain, il a dû imposer sa loi sur son propre environnement. En passant devant ce peuplier centenaire ainsi laissé pour mort, j'eus un petit pincement au coeur, un si bel arbre qui aurait eu encore tant de choses à apprendre à ses semblables qui poussent, admiratifs, à ses côtés; un si bel arbre qui aurait aussi pu nous apprendre encore tant de choses, si seulement on pouvait parler son langage...
Je suis repassé à cet endroit il y a à peine quelques jours. La mélancolie d'autrefois a laissé place à une grande joie: l'Homme a tout de même respecté, cette fois-ci, ce qui pourrait s'approcher d'un cycle naturel! L'arbre abattu est toujours resté ainsi depuis sa chute, personne ne l'a déplacé. De jeunes pousses sont donc reparties de son tronc en putréfaction. Il a pu continuer son cycle de vie naturel: après la mort de sa graine, c'est sa naissance qui eut lieu, sa maturation puis son vieillissement, et quand l'heure de sa mort fut décidée, il continua de répandre son énergie autour de lui, il a nourri la terre et tous les petits arbustes autour de lui en profitent aujourd'hui, et bientôt ses descendants naîtront à partir de sa mort. Et ce peuplier, au final, n'aura pas vécu quelques centaines d'années, mais des milliers, voire une éternité!
C'est étonnant, au final, de se rendre compte que chaque événement de la vie de cet arbre n'est que le fruit d'une rencontre: il a fallu que la graine rencontre à la fois la terre, l'eau, l'air et la lumière pour pouvoir donner naissance à la jeune pousse qui dut grandir, se frayer un chemin à la recherche du soleil, à travers les ronces inhospitalières. Puis il a fallu beaucoup d'eau pour donner au peuplier toute la force nécessaire pour s'élever aussi haut dans le ciel, par chance sa graine est tombée près d'une rivière. Puis sa vie s'est déroulée, souvent paisiblement, quelquefois un peu plus tourmentée par les conditions climatiques toujours plus difficiles. Jusqu'au jour où il rencontra la lame du bûcheron, qui accéléra brusquement sa fin de vie. Mais il garda son sang-froid jusqu'au bout et reprit ensuite un rythme normal en rencontrant le sol par des endroits de son être qui en étaient si loin, jadis! Et de la rencontre de ses branchages avec la terre, l'eau, l'air et la lumière, sont nées les petites pousses que j'ai rencontrées la semaine passée.

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