31 octobre 2012

Mare nostrum



Notre mer qui êtes au large...

Photo réalisée le 12 octobre 2012



Il porte un nom masculin, mais je ne peux m'empêcher de me le représenter comme féminin, et même plus, comme maternel. Son caractère est changeant, bien que lui-même dans sa totalité semble d'une stabilité totalement hiératique. Et, malgré sa patience à toute épreuve, il sait nous prévenir lorsque nous dépassons la limite, et nous punit si nous ne sommes pas à son écoute. Imprévisible, du moins quand on ne le connaît que superficiellement, il nous surprend souvent, alors on subit ses sautes d'humeurs aux conséquences souvent mineures, mais qui parfois vous font apprécier la vie à sa juste valeur. Il porte en son sein une si grande richesse qu'il faut un grand respect pour continuer d'en jouir, sans quoi il risque bien de nous bouder notre subsistance, tant matérielle et gustative, que spirituelle. Parfois même, de son bon vouloir dépend notre vie, lorsqu'il s'emporte d'un si grand élan d'enthousiasme qu'il se surprend lui-même à jouer des tours à ceux qui oseraient, témérité sans limite, se lancer le défi de s'y frotter d'un peu trop près. Et alors quand, par une volonté supérieure à la nôtre, nous en sortons indemnes, c'est à nous d'en tirer les leçons et de fixer nos propres limites afin de ne pas tenter une nouvelle fois, la chance sourit aux avertis. 



C'est là la sagesse qu'il peut nous transmettre: il nous tente, met notre conscience et nos connaissances à rude épreuve, et de la confiance en soi et de l'humilité face aux évènements que l'on ne peut pas toujours maîtriser dépend directement notre survie. Il nous apprend alors à nous maîtriser nous-mêmes avant de tenter de maîtriser quoi que ce soit autour de nous. Et, si par mégarde, l'on eût cru un seul instant en une parfaite connaissance de soi, de son équipement et des éléments desquels nous dépendons directement, il s'octroie volontiers le plaisir de nous rappeler à l'ordre, de nous réapprendre à chaque instant que nos certitudes ne sont pas si inébranlables que nous l'aurions imaginé.



Dans sa grande empathie, il laisse cependant quelques signes précurseurs à celui qui voudra bien se donner la peine d'essayer de le comprendre, ou du moins de décrypter son langage non verbal. Lorsqu'une grosse colère sommeille en lui, il est bon de savoir s'en méfier et de ne pas envenimer la situation, ou du moins d'aller se trouver un abri. Et il arrive très souvent qu'il soit si généreux que l'on se sent bien, à ses côtés. Dans les beaux jours, sa chaleur enveloppante, son caractère calme et serein, nous invite à la méditation, au repos. On adopte en quelque sorte le même aspect que lui: dans les moments mouvementés, nous avons plutôt intérêt à nous agiter un tant soit peu, et lorsqu'il est calme, il nous le transmet avec sa grande force de communication. Il est parfois si calme, qu'il nous renvoie notre propre reflet, si nous sommes assez paisible pour prendre le temps de regarder en lui, de le sonder. Plus proche qu'un ami, il est notre mère, on aurait envie de s'y confier, de s'en remettre à lui, et notre confiance en lui augmente à chaque rencontre, car il est juste. D'une justice absolue, presque divine. Inconstant dans ses humeurs, la constance est à chercher dans les épreuves auxquelles il nous soumet. Le salut ne dépend que de notre réaction, il n'a jamais trahi personne, la sournoiserie et le mensonge ne sont pas dans son répertoire.



C'est un élément, et sa complémentarité avec ses trois autres homologues nous prouve une fois de plus la nécessité de communion, de partage avec notre environnement. De lui, j'ai plus appris pour ma vie que de n'importe qui d'autre. J'ai appris les relations entre les Hommes, entre les Terriens et leur mère porteuse. Cet élément, l'eau, le lac, m'a permis de ressentir ce que je n'aurais jamais ressenti, ni pris le temps d'essayer d'y parvenir, il m'a rapproché de moi-même. Il m'a aidé à trouver des solutions lorsqu'il n'y en avait aucune à mon horizon, il m'a permis d'accepter ou au moins de vivre dignement malgré les difficultés, il m'a confronté à moi-même plus d'une fois. Kersauson disait, à propos de la navigation en solitaire: "en mer, on n'a rendez-vous qu'avec soi-même. Il n'y a personne pour vous poser de problème, et je me trouve de bonne compagnie." Bien sûr, il n'y a pas que le côté solitaire, le partage de bons moments entre amis, en famille, en amoureux fait partie de tous les enseignements que j'ai pu en retirer. Aujourd'hui, avec le recul que je viens de prendre, je me pose une question: comment le remercier?