29 mai 2012

Noctambolesque


La nuit, tous les chats sont gris... Peut-être.

Photo réalisée le 28 avril 2012


La nuit tombe sur le jour, comme la lame de la guillotine sur la nuque du condamné, alors on ferme les yeux car le spectacle n'est pas rassurant: les grands prédateurs sortent de leur tanière, la nuit laisse libre cours à l'imagination de celui qui ose s'aventurer seul en pleine forêt. A mesure que la nuit engloutit les dernières lueurs du soleil, le téméraire est de moins en moins sûr de lui. Le hibou frappe l'air de ses grandes ailes, dans un fracas assourdissant décuplé par l'absence d'image. Les sens se développent, l'ouïe devient plus fine, la pupille se dilate pour mieux capter les ombres se déplaçant sur ce voile noir qui enveloppe tout, l'oppression se fait ressentir, alors l'esprit joue des tours au corps, le coeur s'emballe, les poumons accélèrent sensiblement la cadence, les muscles se contractent, les membres de tout le corps sont prêts à bondir, à réagir face à l'imminente attaque. L'adversité est partout, il se sent comme une bête traquée, la forêt observe maintenant de tous ses yeux, il peut sentir ce regard omniprésent qui se pose sur lui, il ne voit pas la menace, mais elle est bien là, il le sait, au plus profond de lui-même, la menace est tout autour de lui, il la sent, elle est proche, elle s'approche encore, elle est là...

Au loin, il aperçoit soudain une faible lueur. Comme le touareg se dirigeant d'une oasis à une autre, il vise cette lumière qui, il le sait, lui sera salvatrice. Car il sent bien que s'il reste là où il est, il ne s'en sortira pas vivant. Instinct du survie, ou attirance du papillon de nuit, qui recherche paradoxalement la lumière et la chaleur. Il a froid, le noir ne lui mord pas seulement les yeux, mais c'est maintenant tout son être qui est pénétré des ténèbres. Il se met à courir, toujours plus vite, croyant échapper à de chimériques menaces, ces menaces-mêmes qu'il invente lui-même, il s'en rend bien compte, mais qui sait, si jamais c'était vrai?!

Jusqu'à aujourd'hui, il aimait la nuit, il en avait une certaine appréhension, sachant ce qu'elle peut faire déferler dans son esprit une fois seul. Mais en même temps, la nuit l'a toujours inspiré. C'est le moment de calme dans la journée, c'est le moment où il pouvait faire le point sur sa vie, prendre un peu de distance par rapport aux évènements nouveaux, ou simplement s'évader le temps d'une petite balade en solitaire, les pensées occupées uniquement par sa méditation. Une musique dans la tête? La solitude de Georges Moustaki? Mon vieux, Daniel Guichard? La mélancolie, sa plus fidèle compagne, c'est la nuit qu'il la retrouvait, c'était sa plus douce amère habitude. Il l'avait bien laissée de côté quelquefois, parfois pendant longtemps, mais elle l'attendait patiemment, ils savaient tous les deux que leur histoire ne s'arrêterait jamais, ils étaient les gardiens des phares de haute mer une nuit, et la fois suivante ils étaient les bâtisseurs d'une cabane dans une forêt canadienne, une autre fois encore ils étaient explorateurs du Groenland.

Les menaces qui pesaient sur lui, qui rôdaient, à l'affût du moindre faux pas, tout autour de lui, lui semblaient alors si lointaines, si légères que les épées de Damoclès se transformaient en plumes de la Dame aux Camélias; il s'envolait dans un pays lointain, il allait respirer l'air pur de la Cordillère des Andes, il plongeait rendre visite aux baleines bleues en compagnie du commandant Cousteau. 

Non, vraiment, il n'était jamais seul, avec sa solitude...