30 juillet 2011

Insaisissables



Joyeux et furtifs...


Photo réalisée le 25 juillet 2011



Il y a peu de temps, j'ai eu une discussion avec une amie à propos de la photo du mois. Entre autres, nous sommes tombés d'accord sur le fait que le site a besoin d'un petit coup de frais, histoire de changer un peu de sujet pour mes textes... Alors ce mois-ci, j'ai eu envie de simplement vous partager une expérience que j'ai vécue voici deux semaines.




Un ami fêtait ses 90 ans dans la cour du château de Payerne, un magnifique endroit, par ailleurs. Un somptueux buffet était servi, des dizaines de personnes encadraient mon ami. Grand mélomane, il avait invité une fanfare et le choeur au sein duquel il eut tant chanté, et tant aimé y chanter. Vous imaginez donc le ramdam que tout ce petit rassemblement pouvait créer, entouré des grandes enceintes de la cour. Eh bien, figurez-vous que ce château est connu pour abriter tout une famille de martinets, et que ce jour-là ils s'en sont donnés à coeur joie pour nous accompagner avec leurs cris et leur voltige majestueuse, un véritable spectacle de danse artistique. Lancés à près de 140 km/h, ils ne ralentissaient jamais! D'une précision folle, ils regagnaient leur nid perché sous les toits sans la moindre hésitation, et sans vraiment modifier leur allure. Ces spécialistes de la voltige nous ont tous impressionnés. Nullement dérangés par nos musiques et nos rires, ils ont au contraire pleinement participé à la fête, c'était merveilleux.




Et puis, intrigué, je me suis rendu à nouveau dans cette fameuse cour, un soir découvert, mais cette fois seul. Un peu déçu, j'ai cru qu'ils n'étaient plus là. J'avais pris mon appareil photo dans l'espoir d'en capturer peut-être un ou deux. J'allais remballer mon matériel quand quelqu'un passa dans la rue en sifflant. Et là, quelques petits piaillements se sont réveillés, timides mais réels malgré tout! J'ai immédiatement enchaîné le pas au siffleur, reprenant de plus belle la mélodie de L'hymne à l'amour de Piaf. Ce fut l'élément déclencheur: un puis deux, puis dix martinets se sont retrouvés dans les airs, ce fut bientôt tout le groupe qui était sorti, tous chantaient, sifflaient, s'élançaient du toit en prenant une vitesse incroyable en quelques secondes. Un ballet aérien se déroulait tout autour de moi, je n'avais qu'à siffler de temps à autre pour piquer leur curiosité, ils venaient tous à tour de rôle nous frôler, moi et mon appareil. A environ 140 km/h, les corps taillés pour la vitesse fusaient de toutes parts, dans un bruit de flèche que l'on tire d'un arc très puissant.




Ces oiseaux timides et silencieux mais totalement extravertis dès que la musique se fait entendre, furtifs de par leur vitesse époustouflante, élancés mais très puissants, m'ont paru assez propices à une comparaison que nous pouvons tous faire entre eux et notre personnalité. En effet, combien de fois sommes-nous contradictoires dans nos humeurs, nos caractères? Je me suis un peu mieux renseigné sur ces oiseaux dont la parure, sobre mais élégante, m'en ont mis plein la vue et l'esprit. Il paraît que ce sont des oiseaux qui ne s'arrêtent pour ainsi dire jamais: le temps total de leur vol est de 4 mois entiers par année. Ils peuvent même dormir en volant! Leur migration annuelle peut atteindre 12'000 km, qu'ils franchissent en un temps record. C'est un oiseau fait pour voyager en continu: dès sa naissance, les parents du jeune ne prennent pas le temps de lui apprendre à voler, il arrive même qu'ils partent pour la grande migration sans leur progéniture. Les petits apprennent donc seuls au bord du nid en faisant de petits mouvements rapides des ailes, jusqu'au jour où ils se sentent près eux aussi à s'élancer. Et ils commencent directement par les 12'000 km de migration comme premier envol! Et malheureusement, ces fous volants aux capacités si impressionnantes sont eux aussi menacés, leur habitat naturel étant en train de disparaître.




Cet oiseau a forcé mon admiration ce jour de fête, l'a renforcée le jour du ballet aérien, et il me démontre aujourd'hui que même avec ses prouesses d'agilité, de rapidité, de précision et d'adaptation, il connaît ses limites, et avant de s'élancer il garde toujours à l'esprit que s'il atterrit au sol, il est quasiment condamné: la longueur de ses ailes ne lui permettant pas de redécoller d'un terrain plat. Mais personne n'a dû lui dire de ne pas faire la bêtise, il le sait, et il ne le fait pas, parce que c'est une question de vie ou de mort, et qu'il en est parfaitement conscient. Je me dis que parfois, on pourrait avoir pas mal de choses à apprendre des martinets, nous qui nous développons à toute vitesse, mais sans trop nous soucier de notre environnement... Aujourd'hui, nous avons même la chance d'avoir quelques personnes qui prennent conscience du fait que nous nous rapprochons dangereusement du point où nous ne pourrons plus redécoller, écoutons-les. On entend parfois: "L'Humanité est ainsi: une fois qu'elle se sera pris le mur, elle réagira." J'espère seulement qu'il ne sera pas trop tard...