28 octobre 2010

Changements climatiques


"The fall"

Photo réalisée le 28 octobre 2010


J'ai toujours aimé les liens que l'on peut faire entre une langue et une autre, comme pour cette traduction que je trouve particulièrement pertinente. Non seulement au-delà de la première image qui vient à l'esprit, l'automne évoque pour moi bien plus que les feuilles qui tombent, il annonce l'arrivée du grand froid, celui que j'aime tant. Et puis, sans regarder aussi loin, l'automne est la saison un peu mystérieuse qui laisse deviner un magnifique lever de soleil le matin entre les brumes qui flottent au-dessus des cultures de plus en plus rares. La terre à vif laisse entrevoir son côté le plus sombre, mais elle sait que bientôt elle sera recouverte du manteau blanc, immaculé, que l'on prend pour symbole de la pureté... Autour des lacs, les oiseaux prennent leur envol, pas tous, mais cela se prépare. Là encore, une jolie expression cette fois allemande qui taduit bien l'état de stress et de suractivité qui prépare les oiseaux au départ: on appelle cette période "Zugunruhe".

Il y a bien assez de textes qui vous parleront de l'automne, certains en feront l'apologie, d'autres son Requiem. Alors pourquoi je vous en parle moi aussi? J'ai envie de vous parler d'un autre automne, aujourd'hui. Je voudrais vous parler de celui que je perçois au fond de certaines personnes, et que peut-être, si on cherche bien, nous ressentons tous un jour ou l'autre dans nos âmes. Je voudrais parler du changement climatique inversé de notre société. En effet, pendant que la Terre se réchauffe, les Hommes qui la peuplent se refroidissent, se raidissent, se plongent dans une solitude polaire, un anonymat grandissant qui les rassure. Un anonymat citadin que j'aime bien comparer à notre planète, perdue au milieu de milliards d'autres planètes et étoiles, dont nous connaissons à peine le nom, et auprès desquelles nous sommes bien incapables de nous rendre... Et si nous voyons d'autres étoiles exploser, c'est bien souvent avec un retard de plusieurs années-lumières. Mais nous continuons à les observer, ces étoiles qui meurent autour de nous, en nous disant qu'en fin de compte, on ne peut pas faire grand-chose, ne serait-ce que même pour nous-mêmes.

Mais ces étoiles qui meurent sous nos yeux sont à l'automne de leur vie. C'est un éclat de lumière d'une beauté époustouflante, un nuage de feux d'artifice gigantesque, suspendu dans le vide pendant des centaines, des milliers d'années. Ces étoiles mourantes nous offrent le spectacle auquel les arbres se livrent chaque année. Là encore, l'Homme est à l'envers de son univers: la nature est si belle quand elle meurt! Comme si, jusqu'à son dernier souffle, elle voulait nous offrir ce qu'elle a de plus majestueux, elle se pare de toutes ses couleurs, de tous ses éclats, pour le seul plaisir de quelque observateur sensible à son message. Peut-être que son dernier souhait aurait été qu'on s'émerveille devant elle, plutôt que de générer de la tristesse. Alors que trop souvent, nous la méprisons ou ne la remarquons même pas, à force de peut-être l'éviter, elle s'efforce avec tous les moyens qu'elle a, de nous toucher.

Peut-être y arrivera-t-elle un jour, à nous toucher. Ce qui est étonnant, c'est que le toucher chez l'Humain est le seul sens qu'il ne peut pas museler: il est en effet facile de fermer les yeux, la bouche, le nez ou de boucher les oreilles... Impossible de le faire pour le toucher: même avec des gants, on a une sensation sur la peau! Nous sommes donc incapables de ne pas être touché au sens propre, mais il est un autre organe beaucoup plus difficile à atteindre chez nous: le coeur. La musique que l'on compose souvent de nos jours en est le plus flagrant exemple: elle ne vise plus le coeur, avec des harmonies douces, calmantes ou ennivrantes, mais on essaie de toucher aujourd'hui plus bas, aux tripes. C'est une musique qui crée un sentiment, certes, mais un sentiment de mal-être tel qu'on en ressort comme d'un mauvais film: vide. Comme si rien ne s'était passé. Ou plutôt, vidé, comme si au contraire on avait puisé chez nous toute l'énergie disponible au lieu de nous en recharger. Heureusement, il y a des exceptions, il existe encore quelques compositeurs contemporains qui savent être touchés, et qui, à leur tour, arrivent à toucher le coeur de leurs auditeurs d'une manière si profonde qu'on en reste marqué pendant très longtemps, peut-être toute une vie.

La musique est peut-être l'une des dernières activités de l'Homme qui prouve son goût potentiel pour les fins dignes des plus beaux printemps, car lorsque la pièce s'achève, c'est là qu'on y met une touche finale, le dernier sprint avant la ligne, le dernier coup de rein avant de capituler, les plus belles lumières, les plus beaux accords avant de laisser place au silence. Ce silence de l'hiver, celui qui repose l'âme, celui qui répare le coeur avant d'attaquer un nouveau pintemps plein de vigueur. Ce silence qui fait partie intégrante d'une pièce de musique que nous interprétons sans relâche, tous les jours, car c'est ce silence final que nous ne savons pas mettre en place, que nous n'écrivons presque jamais à la fin de notre partition, c'est ce silence dont nous ne connaissons en fin de compte pas plus que son nom, qui nous effraie et que nous évitons jusqu'à ce que nous ayons vidé nos dernières forces dans ce combat contre nous-mêmes.

C'est alors que le morceau s'arrête. Mais en est-ce réellement la fin?