A contre-courant, la tête à l'envers...
Ce soir, je vais vous raconter l'histoire d'une personne que j'ai connue durant bien des années... Pour être exact: quinze ans. C'est l'histoire d'un garçon peu ordinaire, il faut bien le reconnaître. En effet, même avant de naître, il ne voulait jamais faire comme les autres. Ce que je vous raconte là, c'est ce que ses parents m'ont raconté, car je n'ai de souvenirs de ce garçon que depuis qu'il a déménagé dans mon village. Mais commençons par le début, si vous le voulez bien...
Cet enfant est arrivé dans mon village à l'âge de huit ans. Mais bien avant son arrivée, m'a-t-on raconté, il était déjà très surprenant. Ses parents m'ont expliqué qu'il ne voulait pas venir au monde! Du moins, pas comme la plupart des gens. Non, Monsieur préférait l'intérieur si douillet et agréable du ventre de sa maman. Aussi, en signe de protestation à tous ceux qui prétendaient savoir ce qu'il devait faire, il s'était retourné, comme pour bouder! Mais en plus de cela, il s'était mis dans l'idée que ce serait encore plus efficace de s'enrouler le cordon de survie autour du cou... Oh, rien de dangereux, mais juste assez pour bien embêter ces toubibs à la noix. Bon. Il ne faisait pas le poids face à la machine occidentale. Ce petit bout de choux en fit voir de toutes les couleurs à ses parents, ses grands-parents, même aux voisins, paraît-il! Puis il a grandi, timidement, mais surtout intérieurement.
Un jour, il a déménagé avec ses parents et sa soeur. Ils sont tous venus s'installer dans mon village, et c'est là que je l'ai mieux connu. Tout d'abord, il n'a pas eu la vie facile, il a dû se faire une place parmi ses copains, qui avaient du mal à l'accepter, lui qui venait de si loin. Il aurait dû se battre pour gagner son petit bout de terrain de jeu! Mais au lieu de ça, il préférait discuter un peu avec les filles, il ne jouait pas au foot, comme les autres garçons. Puis, en grandissant, il s'est trouvé un amour, qu'il n'osait pas trop avouer à l'époque. Le coeur de cet adolescent ne battait plus que pour la nature. Pendant que ces camarades bricolaient leur vélomoteur, lui se rendait à vélo dans ces petits coins secrets, au bord de l'eau ou au sommet d'une colline d'où la vue était imprenable. Puis avec le temps, alors qu'il passait pour timide et réservé, il grandissait intérieurement, il devint toujours plus sûr de lui, et fidèle à son amante qui ne l'avait jamais trahi.
En continuant ses études, maintenant jeune homme, il osait mieux affirmer ce qu'il ressentait pour cette nature, et sa différence de caractère se renforçait d'elle-même, à mesure qu'il rencontrait des personnes différentes, il était toujours plus convaincu de sa personnalité, plus aucun doute ne planait. Il devint un songeur très pointu, aucune réflexion n'était laissée de côté. Depuis son plus jeune âge, il était déjà plus grand que tous. Puis la grandeur physique s'égalisant à celle de ses amis, il prit de la distance autrement: il écrivit. C'était un moyen pour lui de garder cette hauteur d'observation qu'il avait sur les choses. Et puis, à force de réfléchir sur l'univers, il oubliait parfois de se poser les questions les plus pragmatiques. C'est ainsi qu'il découvrit l'amour un peu par erreur, la première fois, puis par hasard, la seconde fois. Il apprit, bien à ses dépens d'ailleurs, bien des choses sur ces sentiments qu'il n'avait jamais ressentis auparavant. Le jour où cet amour apparut dans sa vie, tout s'était mis à se démultiplier: il ressentait encore plus fort dans sa poitrine ce besoin d'écrire ses réflexions qui foisonnaient alors, il entendait cet appel de la nature encore plus fort que jamais, il se mit à la musique de manière plus engagée encore, et c'est enfin qu'il commença à communiquer à ses semblables ce qu'il ressentait au plus profond de lui-même.
Mais un excès de confiance en entraînant un autre, naïveté peut-être, cet homme a appris d'une manière qui laisse des traces indélébiles: en faisant des erreurs. Car cet homme-là s'est laissé aveugler par des sentiments qu'il avait déjà rencontrés une fois. Et cet homme-là, qui se prenait pour un grand philosophe et qui se sentait, pour la première fois de sa vie, proche de tant d'amis, est retombé de haut. En l'espace de très peu de temps, il est redescendu de son arbre un instant pour contempler les dégâts qu'il avait causés, en voulant grimper toujours plus haut, il cassait parfois quelques branches qui sont malencontreusement retombées sur les mauvaises personnes. Depuis ce jour, cet homme rêve toujours, secrètement cette fois, de faire tourner le monde dans l'autre sens, juste pour voir ce que ça donnerait. Cet homme s'est laissé une fois de plus surprendre par un amour qu'il n'attendait pas, et qui lui fait revivre encore plus intensément, ce bonheur des découvertes, qu'il a connu jadis.
En somme, rien n'a changé, il s'habille toujours autant à l'opposé des modes, se coiffe comme bon lui semble, et même, il arrive encore parfois qu'on l'aperçoive sur les hauts d'une tour ou au bord d'une crique isolée. Mais cet homme-là, il a acquis quelque chose que les gens appellent la maturité. Lui, il préfère appeler cela: méfiance. Cet homme que j'ai côtoyé depuis si longtemps, m'apparaît aujourd'hui comme aux premiers temps: réservé et peu bavard. Seulement, je sais que maintenant, ce n'est pas parce que son esprit est occupé par mille constructions mentales, mais cette apparente absence de communication avec l'extérieur résulte en fait de cette méfiance: il choisit à présent les rares amis à qui il veut parler de choses profondes, sa confiance est plus dure à acquérir qu'auparavant. Et puis il a perdu cette assurance intérieure qu'il avait autrefois: il n'est plus si utopiste, il craint aujourd'hui de gravir les étages de l'arbre, de peur de blesser à nouveau quelqu'un qu'il aime.
C'est ainsi que le jeune homme que j'ai connu est passé d'un papillon curieux virevoltant au gré des vents qui l'emmenaient, au coq fixé sur son clocher, qui regarde cette fois en direction du vent, pour essayer de percer au loin ce qui l'attend. Et puis, je crois que je fais à peu près la même chose que lui. Aujourd'hui, sereinement, je regarde l'avenir en voyant ce que ce vent a déjà pu apporter, et je me dis que l'homme dont je vous ai raconté l'histoire ce soir a encore bien des choses à m'apprendre... Et puis... le meilleur moyen de ne pas être blessé en recevant une branche de l'arbre qu'il aura choisi de gravir, c'est encore de l'accompagner! Qui sait, on n'a peut-être pas grand-chose à perdre, et peut-être qu'avec les années, il a acquis une certaine expérience dans l'escalade de ce genre d'observatoires...
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