27 avril 2010

Infinis




Photo réalisée le 24 avril 2010 à Romont


Ces distances qui riment avec la beauté...



L'Homme a longtemps cru détenir un savoir infini, il s'est depuis toujours mesuré à la nature, en essayant de la dompter, de la domestiquer. On a réussi à l'imiter pâlement au début, puis les techniques se sont affinées, on a réussi à imiter les oiseaux, les poissons, ou le camouflage du serpent. On a domestiqué le feu, en repoussant les limites des connaissances toujours plus loin. On a décortiqué les mystères de l'atome, à tel point qu'on sait aujourd'hui comment détruire la Terre plus d'une centaine de fois. Mais qu'avons-nous vraiment appris de tout cela?! Est-ce que notre savoir nous permet d'éviter les conflits entre les humains, tous plus jaloux les uns que les autres? Ce savoir nous a-t-il permis de vivre en parfaite harmonie avec la planète qui nous accueille, et de pouvoir espérer y vivre sur le long terme, comme l'ont fait la plupart des espèces qui n'ont pas encore disparu? Et en fin de compte, que savons-nous vraiment de notre milieu de vie? On estime qu'il reste encore 70 à 97% des espèces d'insectes à découvrir! Cousteau disait lui aussi qu'il ne comprenait pas ce qu'on allait faire sur la lune, alors que tout dans les océans reste encore à découvrir. Le symbole-même de cette recherche éperdue de connaissances à l'extérieur de soi-même, c'est le peu de choses que l'on connaît sur notre propre cerveau!


Dès lors, il me semble franchement très prétentieux d'oser affirmer que nous connaissons quelque chose de notre monde! Sur les temples grecs, il était écrit: "connais-toi toi-même". Une maxime que nous avons tant de peine à appliquer! Et si nous allons plus loin que les connaissances dites scientifiques, celles qui concernent un fonctionnement que l'on peut, avec suffisamment de moyens, décortiquer, si nous allons plus loin que ces connaissances-là, si nous allons chercher des explications à nos comportements, à nos pensées, c'est pour ainsi dire impossible! Tous ces psychologues qui ont étudié le comportement humain, arrivent aujourd'hui à trouver quelques constantes, mais pour des populations très ciblées, et encore, en excluant pas mal d'exceptions. Or, ce qui fait toute la beauté du genre humain, ne sont-ce pas justement ces exceptions? Ou le nombre incalculable de différences entre une culture et une autre? C'est cela même qui fait toute la richesse de notre espèce, et toute sa complexité, du même coup. Une complexité que personne aujourd'hui n'a réussi à comprendre dans sa totalité. Et pourtant, entre un être humain de Chine, de la forêt amazonienne ou d'Europe centrale, il y a extrêmement peu de gènes qui diffèrent. Si nous sommes tous identiques, nous sommes tous très différents en même temps. Cela, c'est peut-être une des seules vraies réalités dont nous avons, pour la plupart, pris conscience.


J'ai lu une réflexion d'un papa qui explique à son fils pourquoi nous ne pouvons pas nous comprendre: si nous arrivons à comprendre le fonctionnement du ver de terre, c'est que nous avons un système plus développé que le sien, car lui-même ne peut pas comprendre le fonctionnement de son propre système nerveux. De la même manière, nous sommes donc incapables de comprendre nous-mêmes notre propre fonctionnement. Et le petit, à ce moment, imagine alors qu'il doit bien y avoir quelqu'un qui comprend mieux que nous notre fonctionnement, mais que lui-même ne se comprend pas, tant son cerveau serait alors complexe... Le recul que nous avons d'avec le ver de terre, c'est le même que celui qui nous manque d'avec nous-mêmes, pour pouvoir nous comprendre. Ce recul, certains pensent le trouver en observant le mouvement des molécules, ou en traquant de nouvelles espèces d'animaux. D'autres observent des échantillons de populations, d'autres encore préfèrent s'évader dans la spiritualité.


Et s'il n'y avait en fin de compte rien à comprendre? En nous éloignant suffisamment, on réaliserait peut-être alors la beauté de notre Terre, comme l'exprimait l'astronaute Edgar Mitchell, qui parlait d'une "expérience à vous couper le souffle qui consiste à voir la planète Terre flottant dans l'immensité de l'espace comme un splendide joyau bleu et blanc suspendu sur un ciel de velours noir." On s'éloigne tellement de notre planète, pour la voir dans son ensemble, que nous ne voyons plus les milliards de fourmis qui s'agitent à sa surface. Et on se rend compte alors que la beauté de ce spectacle est complètement indépendant de la volonté humaine: la sphère bleue et blanche existait bien avant nous, et existera encore longtemps, avec ou sans nous. Et alors, peut-être n'y a-t-il finalement rien à comprendre, mais tout à apprendre, à observer, à ressentir. Car cela, nous pouvons le faire depuis notre capsule spatiale.


Ainsi, en fin de compte, si l'on peut ressentir et observer depuis l'espace, on peut le faire aussi tout près de nous-mêmes; c'est ici que l'infiniment grand et l'infiniment petit se rejoignent parfaitement: tous les sentiments qui animent un être humain peuvent se ressentir, où qu'il soit, quoi qu'il observe, à n'importe quel instant, à la seule condition qu'ils soient animés par la beauté, le respect et l'humilité. C'est ainsi qu'un mariage dans notre entourage proche, une belle soirée avec des amis, un anniversaire fêté en simplicité et dans la joie, ou un coucher de soleil en solitaire, tous ces événements que nous observons quotidiennement font partie intégrante du magnifique spectacle éternel de notre sphère suspendue sur un ciel de velours noir. C'est pour cette raison, pour cette beauté universelle, que tous ces infimes moments exceptionnels méritent d'être vécus et ressentis avec tous les sentiments auxquels ils ont droit, sans exagération ni timidité...