
Eaux troubles, eaux dormantes...
Photo faite le 23 janvier 2009
Un jour, un lac peut ressembler à un miroir, un exemple de platitude et de calme, un havre de paix. Un lieu tranquille et reposant, propice à la méditation, aux ébats nuptiaux de deux badauds emplumés... Le lac peut, ce jour de tranquillité, offrir ses perches au pêcheur et son escorte volante et... voleuse. Le lac est prêt à accorder ses nombreuses petites criques au promeneur silencieux et observateur ou au petit garçon perdu dans un monde de cabanes et d'aventures. Le lac peut révéler aussi toute sa beauté propre en reflétant sur lui-même ces couchers de soleil qui laissent rêveur... Son éclat nous éblouit peut-être alors, mais en posant notre regard sur les yeux émerveillés de la personne qui nous accompagne, et en sentant que ce même émerveillement nous habite tous les deux, l'éblouissement initial se transforme tout à coup en une petite étincelle qui brille tout au fond de l'esprit, témoin d'une rêverie lointaine et paisible.
Un jour, ce même lac "fait le gros dos". Il ne facilite plus l'accès à ses rives, tellement agité par le vent qui le tourmente. Les eaux dormantes se sont bien vite réveillées, le miroir s'est brisé pour laisser place aux arêtes incisives des flots tumultueux. On passe de la plaine aux pics alpins en très peu de temps. Le sac et le ressac des eaux gronde, les vagues s'abattent de toute leur force sur les rochers du port, le vent hurle, malmenant les bateaux cramponnés à leurs amarres. Le ciel se couvre, le soleil disparaît, les reflets qui nous émerveillaient et nous faisaient rêver doucement ont disparu, laissant à présent se déchaîner la colère et la furie de la nature. Les perches se sont dissimulées, le pêcheur répare ses filets, en attendant que le grain soit passé, et que les éléments retrouvent leur calme.
Qu'en est-il de son escorte si soudée dès qu'une sortie se préparait? Le groupe de mouettes si fidèles auparavant, semble, en ce jour de tumulte, complètement éclaté. Certaines bien blotties dans leur nid, d'autres à l'affût d'un repas facilement trouvé, devant la porte de leur "ami" pêcheur. D'autres encore, une minorité, partent à l'assaut des vents, leur lançant défi sur défi, jouant les acrobates des airs le temps d'une bourrasque. Les jeunes paufinent leur vol plané et leurs loopings, les moins jeunes se délectent des sensations grisantes du vol stationnaire qui donne pourtant une impression de plongé en piqué, tant l'ardeur de ce vent à vouloir donner un coup de balai est impressionnante.
Et pourtant... comment ne pas rester rêveur devant un tel spectacle? Comment ne pas s'imaginer être un de ces rayons qui perce ce voile si épais qu'on aurait pu se croire en pleine nuit? Comment ne pas se prendre pour cette mouette qui joue avec ce vent qui se déchaîne, qui s'amuse au milieu du désarroi et de la terreur semée par ce souffle puissant? Ou alors préfère-t-on se résigner, comme le pêcheur, contraint d'attendre pour pouvoir sortir sa barque? Ne se prendrait-on pas facilement au jeu de la mouette qui attend le pêcheur pour à nouveau espérer un petit casse-croûte bienvenu? Ou alors, on peut aussi se surprendre à rêver d'être ce lac, parfois si paisible, offrant son aide à tous ceux qui veulent bien s'en approcher... et parfois tout de même s'agiter un peu, histoire de rappeler qui fait la loi, histoire aussi de remettre à leur place tous ces prétentieux qui ont osé prendre pour acquis tout ce que le lac voulait bien leur offrir.
A chacun de rêver ou d'être un de ces éléments qui composent un tableau admirable. Chacun doit en effet trouver sa place dans un monde parfois paisible, accueillant, et parfois hostile et peut-être même repoussant. Il est des personnes plutôt taillées comme les rochers du port, qui résistent à tout, qui savent faire face à n'importe quelle situation, aussi dure soit-elle. Il est de ces personnes qui se résignent, comme le pêcheur. D'autres s'amusent des situations prétendument difficiles, à la manière des mouettes acrobates. Il est de ces personnes qui amènent le rayon de soleil admiré et attendu par tous, et il est aussi de ces personnes qui ajoutent un cumulus ou un mètre de creux dans les vagues, juste pour le plaisir du photographe...
A chacun sa manière de voir les moments calmes ou tumultueux. A chacun sa manière d'y réagir. Et chacun de nous joue un rôle primordial dans le grand tableau final que le photographe opportuniste ou le peintre patient sauront peut-être nous décrire, avec leurs mots, à leur manière.